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Exemple de corrigé d’arrêt en procédure administrative contentieuse Remarques méthodologiques Le commentaire d’arrêt n'est pas comparable à une dissertation juridique. Aussi, le plan en deux parties et quatre sous‐parties doit être en principe écarté car il ne correspond pas à la structuration même de la décision de justice qui peut très bien aborder un, deux voire trois questions de procédure contentieuse et qu'il s'agit d'un travail technique où l'on s'épargne la méthode du balancement circonspect (oui/mais ou si/néanmoins) et où les qualités rédactionnelles passent au second plan ‐ sans être bien sûr occultées ‐). Donc, le candidat doit en guise d'introduction et dans un premier temps d'abord résumer les faits, ensuite aborder les points de procédure qui n'entrent pas dans la motivation de la décision comme par exemple (arrêt de premier ressort, d'appel ou de cassation, délais de jugement de l'affaire, requérant aidé ou pas d'un conseil etc...), enfin poser les problèmes de droit soulevés par le jugement. Dans un second temps, le candidat entre dans le détail de ces problèmes en distinguant bien les questions de pure procédure de celles de fond. Ces dernières ayant trait à du droit administratif doivent être en conséquence traitées succinctement (on dirait évacuer assez rapidement): cas, par ex, de l'intensité du contrôle juridictionnel sur la décision d'autoriser la culture d'une plante transgénique. Puis (mais les points de fond peuvent être réglés après ceux de procédure, ce qui est parfois préférable compte tenu du temps imparti) le candidat vient au centre du sujet en développant le(s) point(s) de contentieux. Pour chaque point (qu'il traitera par ordre d'importance, c'est à dire en fonction de la place que les divers considérants lui consacrent effectivement), il présente d'abord l'état du droit applicable (texte ou/et jurisprudence, pour les meilleurs un historique), ensuite la solution de la décision commentée et enfin la portée de cette dernière (revirement, retour en arrière, précision d'une jurisprudence établie et critique de la solution). Une conclusion n'est pas nécessaire mais concevable si, par exemple, le candidat préfère à ce moment du devoir dégager un appareil critique. Veuillez commenter la décision du Conseil d’État du 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues (extraits) Section du Contentieux N° 352427 Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre et 6 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, présentés pour la Communauté d’agglomération du pays de Martigues, dont le siège est Allée Edgar Degas, Paradis Saint‐Roch, à Martigues (13500) ; la Communauté d’agglomération du pays de Martigues demande au Conseil d’État : 1°) d’annuler l’arrêt n° 09MA00154 du 4 juillet 2011 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement n° 0604062 du 20 novembre 2008 du tribunal administratif de Marseille en tant qu’il a annulé, à la demande du Comité d’intérêt de quartier de Saint‐ Pierre, commune de Martigues, l’arrêté du 18 avril 2006 du préfet des Bouches‐du‐Rhône ayant autorisé le stockage de déchets non ultimes au lieu‐dit “ Vallon du Fou “, sur le territoire de la commune de Martigues, et a enjoint au préfet des Bouches‐du‐Rhône de modifier cet arrêté ; 2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à son appel ; Vu les autres pièces du dossier ; 1
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Vu le code de l’environnement ; Vu la loi n° 91‐647 du 10 juillet 1991 ; Vu l’ordonnance n° 2010‐1579 du 17 décembre 2010 ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : ‐ le rapport de M. Didier Ribes, Maître des Requêtes, ‐ les conclusions de M. Xavier de Lesquen, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Communauté d’agglomération du pays de Martigues et à la SCP Odent, Poulet, avocat du Comité d’intérêt de quartier de Saint‐Pierre, commune de Martigues ; 1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 18 avril 2006, le préfet des Bouches‐du‐Rhône a autorisé, sur le fondement de l’article L. 512‐1 du code de l’environnement relatif aux installations classées pour la protection de l’environnement, l’exploitation par la Communauté d’agglomération du pays de Martigues d’un centre de stockage de déchets situé au lieu‐dit du “ Vallon du Fou “, sur le territoire de la commune de Martigues ; que par un jugement du 20 novembre 2008, le tribunal administratif de Marseille a, à la demande du Comité d’intérêt de quartier de Saint‐Pierre, commune de Martigues, annulé cet arrêté en tant qu’il autorisait le stockage de déchets non ultimes et enjoint au préfet de le modifier ; que ce dernier a pris le 9 février 2009, pour l’exécution de ce jugement, un arrêté modificatif imposant de nouvelles prescriptions ; que, par un arrêt du 4 juillet 2011, contre lequel la Communauté d’agglomération du pays de Martigues se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du tribunal administratif ; Sur la régularité de l’arrêt attaqué : 2. Considérant que l’article L. 5 du code de justice administrative prévoit que “ l’instruction des affaires est contradictoire “ ; qu’aux termes de l’article L. 7 de ce code : “ Un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent “ ; 3. Considérant que les règles applicables à l’établissement du rôle, aux avis d’audience et à la communication du sens des conclusions du rapporteur public sont fixées, pour ce qui concerne les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, par les articles R. 711‐1 à R. 711‐3 du code de justice administrative ; que l’article R. 711‐2 indique que l’avis d’audience mentionne les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public ; que le premier alinéa de l’article R. 711‐3 du même code dispose que “ si le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne “ ; 4. Considérant que le principe du caractère contradictoire de l’instruction, rappelé à l’article L. 5 du code de justice administrative, qui tend à assurer l’égalité des parties devant le juge, implique la communication à chacune des parties de l’ensemble des pièces du dossier, ainsi que, le cas échéant, des moyens relevés d’office ; que ces règles sont applicables à l’ensemble de la procédure d’instruction à laquelle il est procédé sous la direction de la juridiction ; 5. Considérant que le rapporteur public, qui a pour mission d’exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut et de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient, 2
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prononce ses conclusions après la clôture de l’instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement ; que l’exercice de cette fonction n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l’instruction ; qu’il suit de là que, pas plus que la note du rapporteur ou le projet de décision, les conclusions du rapporteur public ‐qui peuvent d’ailleurs ne pas être écrites‐ n’ont à faire l’objet d’une communication préalable aux parties ; que celles‐ci ont en revanche la possibilité, après leur prononcé lors de la séance publique, de présenter des observations, soit oralement à l’audience, soit au travers d’une note en délibéré ; qu’ainsi, les conclusions du rapporteur public permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle‐ ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué ; que s’étant publiquement prononcé sur l’affaire, le rapporteur public ne peut prendre part au délibéré ; qu’ainsi, en vertu de l’article R. 732‐2 du code de justice administrative, il n’assiste pas au délibéré devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel et, selon l’article R. 733‐3 de ce code, il y assiste, sauf demande contraire d’une partie, sans y prendre part au Conseil d’Etat ; 6. Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions citées au point 3 de l’article R. 711‐3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré ; qu’en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761‐1 du code de justice administrative ; que cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ; 7. Considérant, par ailleurs, que, pour l’application de l’article R. 711‐3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs, mentionnés au point 6, de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir ; que la communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision ; 8. Considérant que, dans le cas mentionné au point 6 comme dans celui indiqué au point 7, le rapporteur public qui, après avoir communiqué le sens de ses conclusions, envisage de modifier sa position doit, à peine d’irrégularité de la décision, mettre les parties à même de connaître ce changement ; 9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la Communauté d’agglomération du pays de Martigues n’est pas fondée à soutenir que l’arrêt attaqué aurait été rendu au terme d’une procédure irrégulière, faute pour le rapporteur public, qui a mis les parties en mesure de connaître avant l’audience le sens de ces conclusions, de les avoir informées des motifs qui l’ont conduit à proposer le rejet de sa requête d’appel ; Sur le bien‐fondé de l’arrêt attaqué : ……………………………………… D E C I D E : Article 1er : Le pourvoi de la Communauté d’agglomération du pays de Martigues est rejeté. 3
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COMMENTAIRE
Par un arrêté du 18/4/2006, le préfet des Bouches‐du‐Rhône a autorisé au titre de la législation des ICPE l’exploitation par la Communauté d’agglomération du pays de Martigues d’un centre de stockage de déchets sur le territoire de la commune de Martigues. Une association ‐ le comité d’intérêt de quartier de Saint‐Pierre les Martigues ‐ a demandé l’annulation de cet arrêté devant le TA de Marseille. Par un jugement du 20/11/2008, le TA a fait partiellement droit à la demande du comité. En effet, il a seulement prononcé une annulation partielle de celui‐ci, c'est‐à‐ dire « en tant qu’il autorisait le stockage de déchets non ultimes ». Le tribunal a également enjoint au préfet de prendre un arrêté modificatif dans ce sens, ce qu’il a d’ailleurs entrepris le 9/2/2009. Cependant, avant la parution dudit arrêté imposant de nouvelles prescriptions, la CA a fait appel du jugement. Par un arrêt du 4/7/2011, la CAA de Marseille a rejeté sa requête. La CA a alors contesté cette décision devant le CE par la voie de la cassation. La Section du contentieux a rendu son verdict le 21/6/2013, décision faisant l’objet du présent commentaire. A partir des faits que l’on vient de relater et à titre préliminaire, deux remarques peuvent être envisagées. D’une part, le CE était saisi d’un contentieux de pleine juridiction puisque les décisions d’autorisation des ICPE y sont soumis ce qui explique l’attitude du TA qui a utilisé ses pouvoirs ‐ en l’espèce, une injonction d’office ‐ qui, dans ce plein contentieux souvent qualifié d’objectif, en font un véritable administrateur, l’autorisant même à se substituer à l’autorité administrative compétente. D’autre part, on relèvera que le délai de jugement applicable au CE est de près de 2 ans alors que le délai moyen de traitement des affaires était en 2012 d’un peu moins de 9 mois. Devant la Haute assemblée, la requérante formulait un certain nombre de moyens. L’argumentation relative au fond du litige n’ayant pas été reproduite dans le sujet, elle ne saurait de facto donner lieu à un commentaire si ce n’est que le dispositif de la décision nous enseigne qu’elle a été rejetée. En revanche, le moyen tiré d’une irrégularité dans la procédure suivie devant la Cour retiendra toute notre attention, tout en sachant qu’il a été aussi rejeté. La question qui se posait à la Haute juridiction avait trait à ce qu’il faut entendre par « sens des conclusions » que le RP doit communiquer aux parties avant la tenue de l’audience. Après avoir rappelé le droit positif applicable à la matière (1), on s’arrêtera à la solution retenue par le juge de cassation et son application à l’espèce (2) pour enfin dégager la portée de la décision délibérée en formation de Section (3). 1. C’est le décret du 7/1/2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l’audience devant ces juridictions qui a inscrit dans le CJA la communication du sens des conclusions (conclusions) qui relevait jusque là de l’usage. Dans les TA‐CAA, on applique l’article R 711‐3 qui impose de mettre en mesure les parties ou leurs mandataires de connaître avant la tenue de l’audience le sens des conclusions sur l’affaire qui les concerne. Un article similaire existe pour le CE (R 712‐1) si bien que l’on peut raisonnablement estimer que la motivation du présent arrêt vaut également pour la procédure se déroulant devant le CE. Compte tenu de son relatif laconisme, le code ne précise pas en quoi consiste ledit « sens ». Avant l’intervention du décret, il était convenu que le sens des conclusions s’apparentait à la solution du litige que le RP allait proposer à la formation de jugement (= dispositif auquel les conclusions conduisent à titre principal). Cette interprétation a minima résultait tant de la jurisprudence (CAA Versailles 28/3/2006, Schrempp) que de la doctrine juridictionnelle (note du secrétaire général du CE de 2005) et administrative (réponse ministérielle à une question écrite de M. Charasse en 2005). 4
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Postérieurement à la publication du décret, ce sont particulièrement les CAA qui se sont livrées à l’exégèse des dispositions du code. L’arrêt Association de défense Montesquieu‐Balzac (CAA Nantes 25/3/2011) laisse entendre que le sens recouvre le dispositif et la cause juridique le justifiant comme, par ex, un rejet pour irrecevabilité (légalité externe) ou un rejet au fond (légalité interne). Plus récemment, un autre arrêt de la même cour s’est impliqué davantage en jugeant que la mention du code implique la communication de la solution proposée et le ou les moyens susceptibles de fonder à titre principal cette solution, comme, par ex, une annulation de l’acte pour erreur de droit (14/12/2012, Association Evasion en pays d’accueil et de loisirs). 2. La définition du sens des conclusions dégagée par le CE est au diapason de la procédure suivie par la Cour. 2.1 Dans sa décision de juin 2013, le CE a pour la première fois explicité ce qu’il fallait comprendre par « sens » des conclusions. Il distingue entre les informations dont l’absence de communication entraîne l’irrégularité du jugement et celles qui ne sont pas prescrites à peine d’irrégularité de la décision de justice. ‐ Dans la première catégorie, on trouve « l’ensemble des éléments du dispositif… à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire ». Autrement dit, le RP fournira la réponse aux conclusions principales. Ainsi, la mention d’un rejet se suffira à elle seule et ce, en cas de question préalable, sans que le RP est à préciser si la solution tient du désistement, du non lieu ou de l’incompétence de la juridiction administrative. Dans le cas où le recours est accueilli, on se contentera des dispositifs propres à l’excès de pouvoir et à la pleine juridiction comme une annulation totale ou partielle (en plein ou en creux) ‐ voire une annulation conditionnelle (CE 27/7/2001, Titran) ‐ ou le montant de l’indemnité proposée. On peut sans doute ajouter les motifs injonctifs de la jurisprudence Vassilikiotis (CE Ass. 29/6/2001) puisque le juge intègre dans le dispositif une formule de renvoi invitant l’administration à se référer à la motivation de la décision juridictionnelle indiquant les mesures d’exécution à prendre, constituant de la sorte le soutien nécessaire du dispositif. De même, devra être communiquée la réponse donnée aux conclusions incidentes ou provoquées des autres parties, demandes propres à la pleine juridiction. Quant à l’exclusion des conclusions accessoires, on citera pèle mêle les interventions, les demandes d’injonction et d’astreinte, de condamnation aux frais non compris dans les dépens ainsi que le précise la décision commentée, de suppression des passages injurieux ou diffamatoires, de modulation dans le temps d’une annulation ainsi que le recours à l’expertise, le renvoi de l’affaire à une autre juridiction administrative ou l’infliction d’une amende pour recours abusif. Pour ce type de conclusions, le CE a considéré que l’information anticipée ne répond pas à l’objectif que poursuit l’article R 711‐3 consistant à ne procurer aux parties que ce qui a une réelle importance pour le déroulé de l’audience. En effet, ces conclusions ne déterminent ni la présence des parties, ni la préparation d’observations orales, ni la production d’une éventuelle note en délibéré. A ces trois derniers titres, la Haute juridiction souligne que le sens doit être communiqué dans un « délai raisonnable » avant l’audience. Il sera évalué au regard de la finalité poursuivie, c'est‐à‐dire déterminé à partir de la préoccupation de savoir si les parties ont été en mesure d’apprécier l’opportunité de participer à l’audience et de préparer d’éventuelles observations orales ou une note en délibéré. En règle générale, quelques jours avant la séance publique suffiront. Relevons encore sur ce point que la sanction d’une non communication du sens tel que décrit supra entraîne l’annulation du jugement ou de l’arrêt attaqué. Cette irrégularité de procédure avait déjà été mise à jour par l’arrêt Mme Marchesini (CE 2/2/2011) et qu’il en allait pareillement 5
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dans l’hypothèse où la juridiction s’abstiendrait de répondre à une demande de communication des conclusions en leur entier, cette supplique valant demande du « sens » (CE 18/12/2009, Société Sogedame). Pour les décisions rendues par le CE, la méconnaissance des obligations tirées de l’application de l’article R 712‐1 est une cause de révision (CE 10/7/2013, Société Stanley International Betting Limited). ‐ Dans la seconde catégorie, figurent « les raisons » qui fondent la solution qu’appelle selon le RP le litige. Il s’agit donc de délivrer par anticipation la motivation justifiant le dispositif proposé. La Haute juridiction développe même ce qu’elle entend par motifs en opérant une distinction reposant sur le sens des conclusions. En présence d’un rejet, on indiquera si a été retenu un grief de recevabilité ou de fond ; en cas d’annulation, on fera part des moyens qui emportent la conviction du RP. Le mode plutôt impératif de la rédaction adoptée dans le point 7 pourrait laisser supposer que la délivrance d’une motivation est obligatoire tout en laissant au RP la liberté, compte tenu de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques du dossier, de développer ou de restreindre l’appareil justificatif du dispositif envisagé. Un indice supplémentaire du caractère non facultatif d’une telle communication apparaîtrait dans le point 8 qui fait interdiction au RP de modifier sa position par rapport à ce qu’il a indiqué aux parties aussi bien quant à la solution qu’aux raisons qu’il a avancées sans les mettre à même de connaître ce changement. Cette prohibition, directement inspirée de l’arrêt Société Mullerhof (CE 5/5/2006), et qui, conformément à cette décision de 2006, a pour effet de vicier la procédure suivie devant la juridiction en cas de non respect n’aurait guère de sens si la communication initiale des raisons n’avait qu’un caractère facultatif et donc ne pourrait être utilement contestée car une telle distorsion des effets pousserait les RP à s’abstenir au maximum de délivrer des infos tenant à la motivation de leur proposition de solution de peur que s’ils s’y emploieraient alors qu’ils n’y seraient pas contraints et qu’ensuite il leur viendrait l’idée de changer d’avis sans en avertir au préalable les parties, le jugement sur lequel ils auraient conclu pourrait faire l’objet d’une annulation. Pourtant, il semble bien la Section se soit inscrite dans le registre des possibilités. La seconde phrase du point 7 ne permet guère d’hésiter. En spécifiant que « la communication » des raisons n’est pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision, on doit comprendre que l’initiative même de communiquer est laissée à la discrétion du RP et pas seulement, comme la première phrase du point 7 l’énonçait, la seule densité de la motivation. On peut ici faire un rapprochement avec les consultations de textes par les sections administratives du CE où, dès lors que le gouvernement saisit le palais royal, il doit respecter les règles afférentes au déroulement d’une telle procédure, que cette consultation soit obligatoire ou facultative. 2.2 Appliquée aux faits de l’espèce, la construction du CE conduit à écarter le moyen du requérant puisque les parties ont été les protagonistes d’une procédure menée le plus régulièrement possible puisqu’elles ont été informées avant l’audience non seulement du dispositif auquel conduit la décision mais au surplus et à titre facultatif des motifs de nature à justifier la solution de rejet (en réalité de la cause : rejet au fond). 3. La portée qu’on peut attacher à l’arrêt est double. ► Concernant la signification du « sens » des conclusions, on peut estimer que le CE a pris une position intermédiaire. ● D’un côté, il va au‐delà de ce que ses formations de jugement pratiquaient habituellement, à savoir une réponse donnée aux parties, généralement par message électronique, indiquant le 6
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dispositif auquel conduisent les conclusions à titre principal (d’ailleurs, grammaticalement, qui dit « sens » dit « direction dans laquelle se fait un mouvement » ; traduit juridiquement, cela exclut tout ce qui n’est pas une issue ‐ la solution ‐ à savoir les motifs). Notons que devant les juridictions subordonnées, le sens est quasi systématiquement publié sur une page de l’application SAGACE, si bien que les informations qui sont apportées aux parties existent d’emblée sans avoir besoin de procéder à une demande expresse. En tout état de cause, les parties sont, conformément aux dispositions du décret de 2009, informées des voies ou des modalités en vue de présenter leur demande. Le protocole mis en place, qui s’inspire d’ailleurs d’une note du secrétaire général du CE de mars 2009, comprend donc une partie obligatoire et une partie facultative incitant le RP à en dire plus que la proposition de dispositif élargi tout en lui offrant une latitude quant au développement des causes et moyens retenus tels que les retrace le point 7. Cette liberté d’apprécier à quel degré de détail et d’exhaustivité le RP est susceptible de s’engager s’explique par diverses considérations. ‐ Des raisons pratiques en premier lieu. Une charge accrue de travail pour le RP est concevable et peut résulter des instances d’appel ou de cassation où pourront se cumuler les moyens d’irrégularité de la décision de justice et ceux qui soutiennent la solution qu’il propose de retenir pour statuer sur la demande. Ces contraintes seront aussi lourdes en plein contentieux où les situations varient et échappent parfois au cadre établi des moyens existants. On peut aussi escompter une moins grande présence des parties à l’audience car, munis d’une motivation renforcée, les « gagnants » n’auraient pas de raison de se déplacer vu que l’affaire semble solidement réglée à leur avantage et pour les « perdants », il pourrait y aller de même en estimant que l’argumentation à leurs yeux imparable du RP les dispense de tout effort pour essayer d’inverser le courant au niveau de leurs observations orales. Ce mouvement symétrique irait donc à l’encontre de l’objectif prôné par le décret du 23/12/2011 d’accentuer l’oralité de l’audience. ‐ Une raison théorique en second lieu. Une information préalable substantielle inscrirait davantage le RP dans le jeu du contradictoire, accentuant ainsi son assimilation à une partie au litige, ce qu’il n’est pas et ce dont la présente décision rappelle en point 5 à travers l’explicitation du rôle du RP (il est en réalité un membre à part de la formation de jugement, un « intervenant institutionnel » : chron. AJDA). ● D’un autre côté, le CE se refuse à communiquer le texte intégral des conclusions. Le point 5 en atteste explicitement : « les conclusions… n’ont à faire l’objet d’une communication préalable aux parties ». Le juge du Palais Royal s’inscrit dans la logique de la jurisprudence Esclatine (29/7/1998) qui fait échapper l’exercice de la fonction de RP au principe du contradictoire applicable à l’instruction. Les conclusions ne sont pas une pièce du dossier et, sur un plan chronologique, il est loisible d’ajouter que la lecture des conclusions intervient après la clôture de l’instruction. En outre, la Haute assemblée ne se différencie pas aussi de la JP de la CEDH qui, dans l’arrêt Kress (7/6/2001), se satisfait de la transmission du seul sens général des conclusions. On notera, que la Section, comme dans la décision Esclatine, appuie son argumentation au moyen d’une donnée matérielle selon laquelle les conclusions n’ont pas besoin d’être écrites et dont on ajoutera qu’elles sont la propriété du RP qui peut décider de les diffuser ou pas (CE 26/1/1990, Vincent). ► Le CE délivre un obiter dictum. Au détour d’une phrase du point 5, il affirme, sans plus de précision, que la note du rapporteur et le projet de décision n’ont pas à être également transmis aux parties avant l’audience. 7
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Le juge de cassation se fait ici l’écho de ce qu’a récemment jugé la CEDH dans l’affaire Marc‐ Antoine c/ France (4/6/2013). La cour avait estimé que ces documents n’étaient pas soumis à la contradiction car le premier ne fait qu’une synthèse des pièces du dossier que les parties ont déjà en mains et ce en vertu de l’article L 5 du CJA (cf. point 4) et le second, s’il était versé au débat, porterait atteinte au secret du délibéré. Mais la cour avait néanmoins relevé que les parties n’étaient pas complètement privées d’une certaine connaissance des éléments constitutifs du projet de jugement dans la mesure où le RP inclut dans ses conclusions l’analyse du rapporteur et s’appuie notamment sur le projet de décision pour arrêter sa position auprès de la formation de jugement. Donc, grâce aux conclusions, les parties auront un certain degré d’appréhension des motifs du projet, soit par leur intégration dans le raisonnement si le RP est d’accord avec le projet, soit en creux en leur portant la contradiction s’il est en désaccord total ou partiel avec lesdits motifs. En permettant aux parties lors de l’audience de percevoir les éléments décisifs du dossier et la lecture qu’en fait la juridiction, l’exposé oral des conclusions fait du RP une sorte de courroie de transmission permettant d’informer les parties de la réflexion de la juridiction pendant qu’elle s’élabore et aux parties d’y répondre en faisant connaître leurs dernières obs. avant que la décision soit prise. Le CE reprend d’ailleurs à son compte la pensée, voire le phrasé, de la Cour lorsqu’il énonce que les conclusions du RP « permettent aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle‐ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué ». Par là, la Haute juridiction actualise l’intérêt que renferment les conclusions publiques et ce afin de tenir compte de l’apport des textes en matière d’oralité (la reprise de parole après les conclusions ou le dernier mot aux parties). En conclusion, la décision du 21/6/2013 n’est que la première d’une lignée de solutions car on peut raisonnablement penser que devra être au moins délimité avec précision ce qu’il faut exactement entendre par communication de l’« ensemble des éléments du dispositif ». ___________
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