Les moteurs et les techniques de la relation d’aide
I. TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT 1. Définition des mécanismes transférentiels Le terme transfert en psychanalyse "désigne, en psychanalyse, le processus par lequel les désirs inconscients s'actualisent sur certains objets dans le cadre d'un certain type de relations établies avec eux et éminemment dans le cadre de la relation analytique. Il s'agit là d'une répétition de prototypes infantiles vécus avec un sentiment d'actualité marquée" in Vocabulaire de la psychanalyse, de Laplanche et Pontalis. Le transfert est donc un processus psychologique qui tend à reporter sur les personnes ou des objets, apparemment neutres, l'ensemble des émotions et désirs ressentis par le sujet (oscillant entre l'amour l'agressivité, la tendresse et la haine) de façon souvent ambivalente. Ces affects sont la répétition et la réactivation des positions pulsionnelles infantiles vis-à-vis des images parentales ou de faits ayant eu lieu dans l'enfance. Ce phénomène de transfert dépend de deux mécanismes inconscients : • l'identification : elle constitue la première manifestation d'un attachement affectif à une autre personne en tant que modèle à imiter • la projection : c'est la manifestation inverse, par laquelle le sujet "projette" ou attribue à autrui des caractéristiques qui lui sont propres lui et qu'il refuse en lui (craintes, peurs, désirs inconscients...). Le transfert souligne la vulnérabilité du patient, son manque de ressources internes qu’il cherche à combler auprès du soignant… Le soignant est responsable du déroulement et de l’évolution de la relation thérapeutique. Il se doit de fixer des limites objectives et claires, créant ainsi un environnement sûr. En psychanalyse (et dans une bien moindre mesure en entretien) le transfert joue un rôle ambivalent dans la cure : il fonctionne comme une "résistance" : le patient répète sur le soignant son vécu infantile d'un autre côté, c'est par l'intermédiaire du transfert que le patient reprend confiance en lui et qu'il appréhende son histoire et son vécu personnels. Comprenant son fonctionnement mental défensif, il réalise alors qu'il peut en changer en psychanalyse, le transfert doit toujours être interprété par le patient et le soignant pour que ce dernier soit capable de le dépasser à la fin de la cure.
2. Les différentes formes du transfert 1
a) Le transfert positif On parle de transfert positif lorsqu'il est composé de sentiments amicaux et tendres conscients, malgré un fondement érotique inconscient. Par exemple, le patient tente d'accaparer le soignant, lui offre des cadeaux, son amitié voire plus. b) Le transfert négatif Le transfert négatif concerne l'agressivité, la méfiance et l'hostilité. Le patient peut montrer des expressions de colère, se livrer à des jugements et des critiques injustifiées à l'encontre du soignant. 3. Le contre-transfert Le terme de contre-transfert s'applique à "l'ensemble des réactions inconscientes de l'analyste à la personne de l'analysé et plus particulièrement au transfert de celui-ci" in Vocabulaire de la psychanalyse, de Laplanche et Pontalis. Le contre-transfert, est un "a priori" du soignant envers tel ou tel malade, en dehors de toute visée soignante. Il désigne l'incapacité du professionnel à séparer la relation thérapeutique de ses sentiments personnels et des attentes du client. Par exemple, le soignant pense au client de manière excessive entre les entretiens, il s'y attache, éprouve un sentiment d’incapacité professionnelle si le patient ne progresse pas, a l'impression que le client est pour lui quelqu'un de particulier et de spécial, ce qui crée soit du favoritisme, soit au contraire une répulsion. Ces contre-transferts existent toujours mais il est bon d'avoir conscience de ce qui se passe en soi vis-à-vis du patient et de ses émotions pour être plus efficace dans la relation. 4. Dynamique des mécanismes transférentiels Transfert et contre-transfert sont nourris par les besoins personnels de l'infirmier d’être aimé et reconnu comme le "bon" soignant. En gérant son contre-transfert, le soignant permet au patient de se sentir exister avec ses propres projections et de percevoir les limites de ce qui est à lui et de ce qui est à l'autre. Le soignant attentif à ces mécanismes transférentiels doit rester vigilant et veiller à maintenir des frontières nettes et précises dans sa relation d’aide. 5. Les attitudes "transférantielles" en pratique Dans une relation de soins, le soignant, avec son soi-disant rôle d’autorité et aussi avec ce rôle de la personne « aimante » vis-à-vis du patient, peut faire l’objet d’un transfert intense de la part de celui-ci. Le patient projette alors, plus ou moins inconsciemment, la représentation imagée d’un parent aimant et, de 2
ce fait, il pourra alors revivre des aspects de son complexe d’Œdipe ou de sa relation avec le parent du même sexe. Si les émotions sont positives (sympathie) elle fera un transfert positif. Elle peut ainsi avoir l'impression d'être amoureuse de "son" soignant. Si les émotions sont négatives (antipathie, aversion), elle fera un transfert négatif et aura alors l'impression de détester le soignant. Le contre-transfert, lui, s'applique au soignant. Il s'agit souvent d'une réaction au transfert du client, d'où son nom "contre-transfert". Par exemple, lorsque le patient a l'impression de tomber amoureux du soignant ou de le haïr, il est possible que le soignant n'y soit pas émotionnellement indifférent et qu'il ressente aussi des sentiments de cet ordre. On dit alors qu'il est en contretransfert. S'il n'arrive pas à résoudre pour lui-même cette réaction, seul ou avec de l'aide en supervision professionnelle, il devra adresser le patient à quelqu'un d'autre car il ne pourra plus l'aider et risque même de lui nuire. Transfert et contre-transfert posent bien les limites de la "juste" distance thérapeutique. 6. Gestion des problèmes transférentiels Comment éviter d'être englué dans ce magma affectif qui parfois peut dépasser et épuiser le soignant ? Jusqu'où infirmier et patient peuvent-ils s'engager sur le plan affectif ? Qu'est-ce que cela peut impliquer dans l'évolution de la relation soignante ? Le soignant, seul, ne peut répondre à ces questions. C'est là que peuvent intervenir les concertations en équipe autour de la situation posant problème, au mieux en présence d'un psychothérapeute (de formation analytique si possible) qui puisse donner une opinion "extérieure" par rapport à la vision de l'équipe, afin de mieux cerner les choses et de pointer les éléments importants à prendre en compte.
II. L'ART DE POSER DES QUESTIONS L'art de poser les questions constitue une technique efficace de la communication… Mais encore faut-il savoir les poser de façon adéquate et appropriée selon le but poursuivi. Buts des questions : faire répéter ce qui a été mal entendu ou mal compris obtenir des précisions explorer un contenu considéré comme essentiel récolter des informations nouvelles encourager le client à s'exprimer 3
1. Les questions fermées Ce type de question facilite la mise en confiance en début d'entretien. Les questions fermées sont celles dont les réponses attendues sont "oui ", "non" ou "peut-être " ou seulement quelques mots…. Elles ne favorisent pas l'échange et l'introspection, mais permettent la recherche d'un élément ponctuel simple et précis dont le soignant a besoin pour information ou vérification. Ex : "Avez-vous bien dormi cette nuit ? " Si de nombreuses questions fermées s'enchaînent rapidement, l'entretien peut être perçu comme un interrogatoire par la personne soignée. 2. Les questions ouvertes Les questions ouvertes font sentir au patient que le soignant l’écoute et qu'il s'intéresse à ses problèmes : "Comment réagissez-vous au fait que…?" Elles facilitent la prise de parole, l'expression de la personne sans restreindre le champ d'exploration. Elles entraînent une réponse développée et détaillée où le patient peut faire partager son point de vue, apporter un maximum d'informations sur sa situation et exprimer son ressenti et ses émotions. Mais elles lui laissent aussi la possibilité de répondre ou non. 3. Les questions alternatives (ou à choix restreint) Elles ont une fonction de recadrage et placent l'interlocuteur devant deux possibilités que l'on propose : "Etiez-vous en colère ou angoissée ?" 4. Les questions à choix multiple Ce sont des questions alternatives mais qui propose plus de choix. Elles permettent de fixer la réflexion, de vérifier, tester une ou plusieurs hypothèses : Ex : "D'après vous il s'agit de ceci.., ceci... ou cela ?" Cette technique est à utiliser plutôt en fin d'entretien ou pour baliser une étape. 5. Les questions directes Elles vont droit au but et demandent une réponse précise A l'excès, elles peuvent-être perçues comme menaçantes, inquisitrices, surtout si le patient n'a pas bien compris dans quel but elles sont posées. D'une façon générale, on commence par des questions fermées puis directes : Ex : "Quand cela s'est-il passé ?" Ex : "Depuis combien de temps ?" Ex : "Qui...? Que...? Quand...? Où... ? Quel...? Lequel...? Combien... ?"
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Elles appellent des réponses immédiates, précises et amènent la personne à prendre position. Elles permettent de recentrer la personne confuse, éparpillée. On les appelle aussi "questions de spécification". 6. Les questions indirectes Ces questions posent le problème à un niveau plus général et extérieur à la relation. Elles prennent la forme d'une réflexion interrogative. Il n'y a pas d'obligation de réponse précise : "Je me demande ce que vous voulez dire quand vous dites qu'on ne peut faire confiance à personne ?" Ces questions indirectes permettent de récupérer de l'espace quand l'implication est trop pesante pour la personne. Elles paraissent moins menaçantes et encouragent le processus d'exploration tout en préservant l'autonomie de choix de la personne. 7. Les questions projectives Ex : "Que feriez-vous si vous aviez toute possibilité d'agir... ?" Ce type de questions cherche à explorer les impressions, les sentiments, les désirs, les motivations. Elles s'adressent à la partie la plus affective, inconsciente de la personne. 8. Les questions suggestives (ou à hypothèses) Elles sont utilisées pour communiquer de façon déguisée des affirmations, opinions, préférences, suggestions... Ex : "Ne pensez-vous pas qu'un peu de repos vous ferait du bien?" Elles sont liées à une attitude d'investigation ou d'enquête et visent à obtenir des renseignements, à vérifier ou à éliminer des hypothèses. 9. Les "pourquoi" Ils invitent à la justification plus qu'à l'exploration. Ils peuvent souvent être avantageusement remplacés par des "comment" moins intrusifs. Ex : "Pourquoi avez-vous réagi comme cela?" Ex : "Comment en êtes-vous venu à réagir comme cela?" 11. Les questions à réponses induites La réponse induite est formulée dans la question : Ex : "Ne pensez-vous pas que…?"
III. LA REFORMULATION
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La reformulation est une intervention qui consiste à redire dans les mêmes termes (ou en termes équivalents), d'une manière plus concise ou plus explicite, ce qui vient d'être exprimé par le sujet, de telle sorte que le soignant obtienne l'accord de la personne. Une reformulation est satisfaisante lorsque l'on obtient les 3 résultats suivants : l'écoutant n'a rien introduit de nouveau à ce qui vient d'être dit l'écoutant a fait la preuve qu'il a écouté et compris ce qui lui était offert. l'écouté est certain d'être compris et peut donc s'exprimer davantage Grâce à la reformulation l'écoutant : reconnaît les sentiments ou les significations que le sujet vient de formuler lui laisse du temps pour développer son point de vue accepte le contenu subjectif de ce qui est dit lui montre que c'est son point de vue est bien compris implique le patient dans sa situation, sans le moindre jugement de valeur Le principe fondamental de la reformulation est que la personne écoutée est celle qui connaît le mieux sa situation. La reformulation est issue de la théorie rogérienne (1902-1986). 1. La reformulation simple (ou "écho") Elle consiste à redire la dernière idée exprimée ou une idée particulière avec les propres mots de l'autre, sans déformation de l'idée. 2. La reformulation reflet La reformulation reflet consiste à reprendre l'idée ou les idées sans les déformer et en les reformulant de manière à ce que le sujet puisse les reconnaître comme siennes. Elle n'utilise pas les mêmes mots que dans la formulation "écho" , elle lui est donc supérieure. La reformulation reflet est donc une réponse résumée qui prouve au patient qu'on l'a compris : elle permet de résumer et d'accentuer la communication. 3. La reformulation sur les messages affectifs (reflet des sentiments) La reformulation reflet de sentiment manifeste une compréhension des émotions communiquées par le patient. Elle s'intéresse plus au vécu et aux émotions qu'au message en lui-même. Elle favorise la prise de conscience par le sujet de ses processus internes, de ses motivations, désirs ou sentiments. Il faut prendre des précautions en mettant en lien des messages verbaux et nonverbaux.
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Attention: cette forme de reformulation est à manier délicatement, particulièrement si on met en lien messages verbaux et non-verbaux. 4. La reformulation élucidation-clarification Elle permet de relever des idées ou des attitudes implicites dans le discours ou les attitudes de la personne, mais qui peuvent être raisonnablement déduites en fonction des connaissances du praticien. La reformulation élucidationclarification consiste à mettre en lumière et à renvoyer au sujet le sens même de ce qu'il a dit, mais qu'il ne réalise pas tout à fait : Ex : "La crainte que vous éprouvez de perdre l'affection de vos enfants vous empêche d'être sévère" L'élucidation doit rester au niveau de l'essentiel de ce qui est dit : " L'élucidation vise donc à relever des sentiments et des attitudes qui ne découlent pas des paroles du sujet mais qui peuvent raisonnablement être déduits de la communication ou de son contexte" C. Rogers (1969) 5. La reformulation confrontation Elle a pour but de mettre en évidence des distorsions, soit dans le discours soit entre le discours et les messages non-verbaux: Ex : " Vous dites que vous n'attendez rien de notre rencontre, mais pourtant vous avez pris rendez-vous et vous êtes venu." Attention: forme de reformulation à utiliser avec prudence. 6. La reformulation synthèse (ou résumé) Utilisée en fin d'entretien ou lors d'entretien un peu long, elle permet de résumer la situation en une synthèse. Elle traduit l'essentiel des idées et émotions exprimées par le sujet, vérifie qu'il a bien exprimé ce qui était important pour lui, et au besoin peut s'ouvrir sur un autre entretien si des points n'ont pas été abordés. Ex : " Aujourd'hui vous avez parlé de..., exprimé vos difficultés face à..." 7. Les façons d'être qui facilitent la reformulation Selon J. Chalifour, voici les techniques et les façons d'être qui facilitent la reformulation : instaurer un climat de confiance grâce un accueil solide accepter les silences et leur retrouver leur sens faire preuve d'une attention intérieure Le soignant doit rester conscient du fait que : nous pensons souvent les choses différemment nous nous imposons des barrières 7
nous ne voyons pas toujours les choses qui existent, mais que nous en imaginons parfois d'autres qui n'existent pas.
a) Le feed-back Le feed-back, "processus verbal et non verbal par lequel une personne informe une autre personne de ses perceptions et de ces sentiments au sujet de ses propres comportements", sert à informer l'autre de ce que nous éprouvons à son contact. Il ne vise pas à contraindre le patient à changer de comportement. Feed-back Personne A Filtres Personne B Ce que je pense Ce que j'entends environnement Ce que j'ai envie de dire perceptions sensorielles Ce que je comprends culture, cadre de référence Ce que je dis Ce dont je me souviens histoire de vie personnelle b) Effet psychologique des reformulations sur la relation Du fait que le professionnel s'efforce de ne pas déformer, interpréter, juger ce qui est exprimé, le patient ne se sent pas menacé dans la situation; ses barrières défensives diminuent peu à peu, et il a tendance à s'exprimer plus librement, plus personnellement. La possibilité d'entendre ce qu'il vient de dire - grâce à la reformulation constitue pour une expérience d'écoute de lui-même, avec ce que cela implique de clarification, prise de conscience, approfondissement. c) Limites Les reformulations doivent être un résultat d'une l'écoute empathique, et pas seulement la mise en œuvre d'une technique de communication. Reformuler n'est réellement efficace et aidant que si le professionnel a intégré dans sa manière d'être en relation avec le client les trois attitudes de base : congruence, empathie et considération positive. L'infirmier doit être capable d'accompagner le patient dans son vécu émotionnel ; s'il n'est pas disponible ou compétent, mieux vaut qu'il n'utilise pas ces techniques relationnelles.
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