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Rose M. Becker

RÊVES ET DÉSIRS Volume 3

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1. Come back to me

Je suis vautrée sur le canapé depuis une heure, les jambes en l’air et les pieds au mur. Et pour la dixième fois, je cherche le numéro de David, enregistré dans mon répertoire. Le combiné coincé contre l’oreille, j’attends, la tête au milieu des coussins du canapé. À nouveau, la sonnerie, lancinante, agaçante. Une fois. Trois fois. Cinq fois. Et… je bascule directement sur le répondeur où la voix calme et froide du docteur Wagner me demande de laisser un messager ou, en cas d’urgence, de le joindre directement la clinique Saint-Peters. – Allô, David ? C’est Hope… J’ai l’impression de réciter un texte. Et ce n’est pas du Shakespeare. Il s’agit au moins du quatrième – ou quatorzième, j’ai arrêté de compter, par égard pour mon amour-propre – message que je lui laisse. Je ne cesse d’envoyer des bouteilles à la mer dans sa direction. – J’aimerais te parler au sujet de l’autre fois, de Christina, de ta mère… Quelques secondes filent. Je songe à son départ précipité, une semaine plus tôt, et tortille une mèche cuivrée de mes cheveux. Que pourrais-je ajouter ? Que je l’aime ? Je ne peux tout de même pas me déclarer à son répondeur ! Que je voudrais qu’il revienne ? Cela fait sept jours que je suis sans nouvelles de mon Viking. Depuis qu’il a découvert l’identité de ma grand-mère, mêlée à la mort tragique de sa mère, je n’ai plus le moindre contact. – Bon… je vais raccrocher… parce que tu n’es sûrement pas là… ou que tu n’as pas envie de me répondre… Mais je pense à toi… Voilà… Je te laisse… Au revoir, David… Goodbye… Arrivederci… Auf Wiedersehen… Sayonara… Je finis par couper la communication et je pose le téléphone à côté de moi, sur le sofa. Hélas, c’est le geste de trop. Une seconde plus tard, je dégringole du canapé sur le parquet… pile au moment où Claire ouvre la porte du salon. D’elle, je ne vois que ses jambes nues qui se précipitent vers moi. – Hope ! Ses mollets se rapprochent à toute allure. – Mais qu’est-ce que tu fabriques ?! Si on m’avait donné une pièce chaque fois que j’ai entendu cette phrase… – Rien, rien.

Les quatre fers en l’air, je me redresse, un peu secouée par ma chute sur le parquet. Ouille ! Se penchant vers moi, ma meilleure amie m’aide à m’asseoir tandis que je passe une main sur le sommet de mon crâne, où risque d’apparaître une belle bosse. – Tu t’es fait mal ? – Non… ça va. – Que faisais-tu sur le canapé ? Dans sa petite robe aux couleurs pastel et ses ballerines blanches, Claire lève soudain la main pour m’arrêter avant que je n’ouvre la bouche : – J’ai déjà peur de la réponse… J’espère que tu n’as pas décidé de t’inscrire dans cette école de trapèze… – J’essaie de faire circuler les bonnes ondes… et d’appeler David, fais-je, avec une moue dépitée et des yeux embués. – Oh non ! Ma coloc ne peut cacher sa désapprobation. – Tu lui as encore laissé un message ? – Oui, bien sûr. Pour moi, ça coule de source. Je ne pense qu’à lui. En permanence. Et jamais je ne me suis sentie aussi abattue, aussi solitaire. Comme si j’étais à la dérive… Même si j’ai rencontré cet homme depuis peu, je réalise à quel point il a pris une place importante dans ma vie, quitte à me donner le vertige. – Promets-moi que tu ne lui as pas dit au revoir dans dix langues différentes, comme la dernière fois. – Si, pourquoi ? Je rougirais si je n’étais pas si triste. Claire secoue la tête, l’air accablé. – Hope ! me tance-t-elle. Je hausse les épaules. – J’ai besoin de lui parler, Claire. Il est parti en coup de vent après m’avoir raconté l’histoire de sa mère. Il ne m’a même pas laissé une chance de m’expliquer. – Je sais bien, ma chérie. – Ça fait une semaine aujourd’hui. Tu crois que c’est mauvais signe ? Que les oignons sont cuits ? – Les carottes, me reprend-elle dans un sourire. Et il a sûrement besoin de réfléchir. Coinçant derrière mon oreille une mèche de mes cheveux cuivrés, elle me regarde avec compassion. J’ai sans doute une tête effrayante, faute de beaucoup dormir… Heureusement, je n’ai

pas jeté le moindre coup d’œil à mon miroir depuis deux jours. S’emparant de mes mains, Claire m’entraîne vers le canapé où je m’assois près d’elle. Dans le bon sens. Les fesses sur les coussins. – À mon avis, il préfère rester seul le temps de digérer la nouvelle. – Tu l’as vu lors de ta garde ? – De loin. Et je peux te dire qu’il ne semblait pas en grande forme. Il était encore plus autoritaire que d’habitude. – Vraiment ? Je pose sur Claire des yeux pleins d’espoir. Cette confidence me réchauffe le cœur, même si je ne sais plus que penser de mon histoire avec le docteur Wagner. Formions-nous un couple avant son départ ? Étions-nous officiellement ensemble ? Qui suis-je exactement pour lui ? Et a-t-il pris peur à cause de mes visions, de ma ressemblance avec Christina ? Le départ de David m’a un peu détournée de mes angoisses au sujet de mes « pouvoirs » de médium, même si je me demande pourquoi je n’ai plus aucun rêve prémonitoire. Peut-être devais-je seulement sauver David ? Peut-être était-ce ma mission ? Si c’est le cas, j’y vois un signe – le signe que nous étions faits pour nous croiser, même si je n’en ai pas la preuve. Je ne suis pas à un phénomène inexplicable près depuis quelque temps ! Et secrètement, je me réjouis de ne plus prévoir l’avenir. Je n’ai d’ailleurs pas envie que ces images de violence reviennent. Car bizarrement, je ne voyais jamais d’événements sympas dans mes flashs, juste des horreurs, des accidents, des crimes… J’en ai beaucoup parlé avec ma meilleure amie hier soir et elle aussi semble soulagée que je sois redevenue normale. – Tu devrais lui parler en personne, enchaîne Claire en me tirant de mes réflexions. Vous ne pouvez pas vous expliquer au téléphone. – Tu oublies une chose : il n’a peut-être aucune envie de me voir. – Dans ce cas, tu sauras au moins à quoi t’en tenir. Un bras autour de mes épaules, elle ajoute dans un soupir : – Si j’étais à ta place, je lui rendrais visite. Tu n’as pas envie de revenir pointer au club des éternelles célibataires, dont je suis un membre permanent, n’est-ce pas ? *** Le lendemain matin, je pique des fleurs dans de petites corbeilles aux dominantes roses et blanches. Flower Power a décroché un important contrat la semaine passée : le baptême de la petitefille du maire de San Francisco. Deux cents invités sont attendus pour la cérémonie et nous devons fleurir l’église et la maison des heureux parents. Un sacré boulot ! Mes écouteurs vissés aux oreilles, je travaille à la chaîne depuis deux heures. Lila, elle, s’occupe de nos clients dans la partie boutique. Reprenant le refrain de Gloria Gaynor d’une voix de casserole, je sursaute en sentant une main sur mon épaule.

– La vache ! Arrachant une de mes écoutilles, je me tourne vers Lila dans un cliquetis de médaillons. – Je ne voulais pas t’effrayer, navrée. Ma patronne me sourit, le nez chaussé de ses lunettes de vue. Oh ! ça sent mauvais. Lunettes + expression sérieuse = discussion. Et j’ai horreur des grandes discussions. Lila ressemblerait presque à une femme d’affaires sans ses sandales compensées à semelles de liège et son jean blanc moulant. – J’aimerais te parler deux minutes, ma chérie. Qu’est-ce que je disais ? – C’est à cause du rangement des papiers ? je tente, fébrile. Lila secoue la tête. Et pour éviter de perdre du temps, elle s’empare des petits boutons de roses blanches et les insère avec moi dans leurs socles. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre une minute. – En partie. – Je peux tout t’expliquer ! – Mais non, Hope. Ton rangement ne me pose aucun problème tant que tu t’y retrouves, m’assure-telle. Elle ajoute deux rubans roses à sa composition pendant que je parsème la mienne d’une myriade de petites perles argentées. Normalement, nous devons livrer nos corbeilles demain matin. – J’envisage de partir bientôt à la retraite, Hope. Stop ! Rembobinez ! D’un geste brusque, je manque de renverser l’arrosoir posé à côté de moi et je contemple ma patronne comme si elle était tombée sur la tête. Elle ? À la retraite ? Alors qu’elle croque de jeunes éphèbes au petit-déjeuner et qu’elle entretient sa ligne de rêve à coups de séances de Pilates ? – Je sais… C’est difficile à croire avec ma plastique de rêve. – Tu m’ôtes les mots de la bouche ! – Voilà pourquoi tu es mon employée préférée, Hope ! – Tu n’en as qu’une… – C’est vrai. Elle éclate de rire avant d’enchaîner, la mine grave : – Je suis sérieuse. Je compte partir d’ici quelques semaines… Mais je ne veux pas que la boutique ferme. Flower Power, c’est un peu mon bébé. J’ai créé ce magasin il y a vingt-sept ans et j’y ai vécu

mes meilleurs moments entre trois divorces catastrophiques. – Mais tu pars comme ça ? D’un seul coup ? Je suis sur les fesses. – J’y pense depuis un certain temps. Depuis que j’ai passé ces examens médicaux l’année dernière et que j’ai cru avoir un cancer du sein, même si c’était bénin. À ce moment-là, je me suis rendu compte que j’avais passé toute mon existence à bosser et que j’étais passée à côté de ma vie privée. Attention, je ne regrette pas mes choix ! J’ai adoré mon boulot, mais je dois aussi en profiter un peu ! À cinquante ans, il serait temps… Soixante ans serait plus exact, mais je me garde bien d’intervenir, d’autant qu’elle enchaîne, la mine grave : – Hope, j’aimerais que tu t’occupes de la boutique après mon départ. – Moi ? Je suis sous le choc. – Je te propose la poste de gestionnaire, Hope. Je resterai évidemment propriétaire du fonds de commerce, mais tu auras les coudées franches après mon départ. Tu pourras engager une assistante, gérer les commandes et les comptes, t’occuper de tout, en somme ! Je reste bouche bée. Cette proposition est extraordinaire, bien entendu. Mais je ne suis pas certaine d’avoir les compétences requises. Je suis même impressionnée par l’ampleur de la tâche et des responsabilités. – Je n’ai jamais fait d’études de compta ou de commerce, Lila… – Mais tu es la meilleure fleuriste que je connaisse, bien plus douée que moi, en tous les cas ! Tu as ça dans le sang ! En plus, tous les clients t’adorent et ne jurent que par toi. Tu es l’âme de cette boutique. J’hésite. – Et puis, je ne vais pas te lâcher dans la nature. Je compte bien profiter des prochaines semaines pour te former, jeune Padawan. Ce ne serait pas raisonnable. Mais depuis quand le suis-je ? Je n’ai qu’une envie : accepter, retrousser mes manches et relever le défi. D’autant que Lila n’a ni enfant, ni héritier. Je suis la seule personne à laquelle elle peut confier sa boutique – la grande réussite de sa vie, comme elle le répète souvent avant d’incriminer ses trois ex-maris. Et puis, j’aime profondément cet endroit, tout comme elle. – D’accord ! – C’est vrai ?

– Ouiii ! Et je suis très honorée de ta confiance, Lila. Alors si tu ne veux pas que je te fasse un discours digne de la cérémonie des Oscars, embrasse-moi ! Dans les rires, ma patronne me presse contre son cœur tandis que je l’étreins avec force. N’est-ce pas la plus belle opportunité de ma carrière ? Cela me remonte le moral, en berne depuis le départ de David, toujours aux abonnés absents. – Que dirais-tu de commencer par la comptabilité ? Je pensais organiser un rendez-vous pour toi avec mon banquier. Je fais la grimace – une horrible, affreuse grimace où je louche et tords ma bouche de travers en épatant les narines. Aïe ! Aïe ! Aïe ! *** Reboostée par cette bonne nouvelle, je décide de tenter ma chance à la clinique Saint-Peters, même si j’appréhende de retourner sur les lieux du drame. En effet, je n’ai plus mis les pieds dans cette rue depuis la tentative d’assassinat contre David. D’ailleurs, aucun rêve prémonitoire ne vient plus troubler mes nuits. Et en dehors de petits éblouissements, je n’ai plus de visions. Est-ce terminé ? Suis-je redevenue une fille comme les autres ? En ai-je fini avec cette histoire de médium ? – Bonjour ! je lance gaiement aux standardistes à l’accueil. Pourriez-vous m’indiquer le service de soins ophtalmologiques ? Une minute plus tard, je me retrouve au deuxième étage du vaste bâtiment high-tech. Jamais encore je ne m’étais aventurée dans ces couloirs. Pas d’odeurs de médicaments ou d’eau de javel au cœur de cet édifice ultramoderne. Par contre, des fleurs fraîches décorent le desk des infirmières et de magnifiques tableaux impressionnistes ornent les murs. Je remarque aussi les élégants sièges en tissu brun de la salle d’attente et son épaisse moquette prune. Suis-je vraiment dans un établissement médical ? Sans les blouses blanches, je n’y croirais pas une seconde. Un peu méfiante, je regarde les médecins circuler près de moi. Ils me fichent la trouille. C’est pour cette raison que je ne les consulte pas. J’ai toujours l’impression qu’ils vont m’annoncer ma mort imminente alors que j’ai un petit rhume bénin. Sur le palier, je m’approche d’une aide-soignante quand une voix familière m’interpelle. – Hope ? Hope Robinson ? Derrière moi se tient Gregory, le meilleur ami de David, en train de sortir d’une salle de consultation. Son stéthoscope autour du cou, il s’approche de moi avec un grand sourire. – Je vous ai tout de suite reconnue ! – À cause des cheveux cuivrés ? je souris.

– Les cheveux et la jupe, répond-il en désignant mon grand jupon bariolé. Une merveille confectionnée à la main. J’ai eu une période couture et j’étais plus douée pour cela que pour la peinture sur assiette ou la poterie ! Il s’agit d’une pièce d’inspiration gitane, en tissu léger et multicolore dont l’ourlet se termine par une délicate frange. J’ai aussi piqué quelques perles et breloques de-ci, de-là : c’est ma tenue préférée, choisie spécialement pour David et mon opération « reconquête » ! – Vous êtes repérable de loin, conclut-il avec amusement. Spontanément, je dépose une bise sur sa joue. Depuis notre rencontre à la soirée caritative, je l’apprécie beaucoup. Même si je le connais peu, j’ai l’habitude de suivre mon instinct pour jauger les gens. Et Gregory Lawrence me plaît énormément. – Vous êtes venue voir David ? – Oui. Je m’apprêtais à l’attendre dans un petit coin. – Il est au bloc en ce moment. A priori, il devrait arriver dans une heure, grand maximum. – Oh… d’accord. J’ai un peu l’impression d’être dans Grey’s Anatomy, au milieu des médecins qui s’activent, passent dans le couloir, échangent des paroles sibyllines. – Entre nous, je suis content que vous soyez passée… Avec un peu de chance, cela va lui rendre le sourire. Gregory me coule un regard entendu. – Pourquoi ? Il s’est passé quelque chose ? – Oh, trois fois rien… Il a seulement piqué une crise, une de ses célèbres colères glacées, parce que l’infirmière de garde avait interverti les dossiers de deux patients. Disons que notre maniaque du contrôle est un peu sur les nerfs. Monsieur Psychorigide aurait-il encore frappé ? Et serait-ce à cause de moi ? Je n’ose pas trop m’emballer, sachant qu’il refuse de m’adresser la parole depuis plus d’une semaine. – Il s’est refermé sur lui-même cette semaine. Il ne cesse de ruminer dans son coin. C’est dommage parce qu’il semblait différent depuis votre rencontre : plus ouvert, plus chaleureux… Au même moment, le bipeur du médecin émet un son strident. – Le devoir m’appelle ! me lance-t-il avant de tapoter mon épaule. Enfin, vous êtes là, c’est le principal. Essayez de lui rendre le sourire, s’il vous plaît… au nom de tout le personnel de SaintPeters ! Je souris alors qu’il s’élance vers les soins intensifs, du moins à en croire les panneaux

d’affichage. Un peu ébouriffée, je reste immobile. Se pourrait-il que notre rupture affecte David ? Je commence à tripoter les nombreux bracelets indiens noués autour de mon poignet. Puis je me dirige vers la salle d’attente… où je reste assise trente secondes. Impossible de tenir en place. Je suis trop nerveuse. Et je me retrouve bientôt à faire les quatre cents pas dans le couloir. S’il était furieux de ma visite ? Ou s’il m’avouait son amour ? Et s’il appelait la sécurité ? À moins qu’il ne m’embrasse passionnément… Tout en arrachant les petites peaux autour de mon pouce, je gagne le bout de l’allée carrelée de blanc. À l’extrémité se trouve la pharmacie de la clinique, une grande pièce fermée par des portes vitrées et gardée par un digicode. Je repère à côté un grand panneau d’affichage. Des dizaines de petites annonces ont été épinglées par des patients ou des membres du personnel. J’en profite pour les lire. Un étudiant en médecine propose des cours privés de maths. Et là ? Que vois-je ? Des cours de gestion du stress ! – J’en aurais bien besoin… Je m’empare de mon téléphone portable. Un vieux modèle un peu ringard dans une coque zébrée mais muni d’un appareil photo. Et faute d’être une championne en nouvelles technologies, je perds dix minutes à allumer l’objectif. Je veux mémoriser le numéro de téléphone de l’annonce. Sauf qu’en appuyant sur le bouton, je remarque un homme dans l’angle de mon objectif. – Je le connais… Soixante ans. Petit. Nerveux. Le cheveu grisonnant et en pétard, à l’instar d’Einstein. Avec une petite barre rouge en travers du visage, sur les joues et le nez. Ne serait-ce pas Charles Thompson, le mentor de David ? Je reste le bras tendu, mon appareil à la main. Qu’est-il en train de faire dans la réserve à médicaments ? Je l’observe pendant qu’il fourre des boîtes dans sa sacoche en cuir, la remplissant à ras bord. Il jette en même temps des regards furtifs à la ronde, comme s’il surveillait l’entrée. Oh merde ! Il m’a vue ! Je suis grillée ! J’abaisse tout de suite le bras, embarrassée. Je n’avais pas l’intention de l’espionner. Mais avant qu’il ne réagisse, je disparais. Je recule et remonte le couloir en rasant les murs. Je me sens soudain très mal à l’aise. Comme si j’avais fait – ou vu – quelque chose de mal.

2. Face à face

– Hope ? Je me réveille d’un seul coup, tirée de ma somnolence par une voix posée. – Je ne dormais pas, monsieur ! fais-je, dans un sursaut. Une demi-heure plus tôt, je me suis assoupie en posant ma tête entre mes bras sur un bureau. – Monsieur ? répète la voix calme. C’est alors que je le vois. David. Sur le seuil de son bureau. Il me faut une seconde pour m’éclaircir l’esprit et retrouver mes marques. Après avoir surpris Charles Thompson dans la pharmacie de la clinique, j’ai trouvé refuge dans le cabinet de mon ex-amoureux, ouvert par Gregory, en pause après sa dernière consultation. Je voulais à tout prix échapper à cet homme qui me donne froid dans le dos. Car le directeur de Saint-Peters me met mal à l’aise. En sa présence, mon intuition ne cesse de tirer la sonnette d’alarme – et j’ai appris à l’écouter ces derniers temps. – David ? fais-je, un peu hébétée. Pendant une minute, j’ai cru que j’étais au lycée. À l’époque, je piquais de discrets roupillons au fond de la salle… que mon prof de maths, M. Klein, prenait un malin plaisir à interrompre. Pour une raison inconnue, il tenait absolument à m’enseigner les équations à deux inconnues. Devant mes yeux de hibou, David sourit malgré ses sourcils froncés – un signe qui n’augure rien de bon chez lui. – Tu es surprise de me voir dans mon propre bureau ? remarque-t-il. Le bon sens fait homme. – Euh… non… Je dompte ma crinière à l’aide de mes doigts afin de retrouver figure humaine. Je suis très impressionnée par David. C’est la première fois que je le découvre dans l’exercice de ses fonctions. Sorti de la salle d’opération, il porte encore sa blouse blanche… et sa fatigue en bandoulière. Les épaules voûtées, la mine lasse, il ne ressemble plus au docteur grave et sérieux que je connais. Il paraît plus vulnérable, plus accessible. Moins monsieur Psychorigide. – Je vois que tu as pris tes aises…, note-t-il en refermant la porte derrière lui. D’un regard, il englobe le bazar étalé sur sa table en quelques minutes. Je n’ai pas dû rester plus

de trente minutes dans cette pièce, mais j’ai tout de même réussi à imprimer ma patte, mon style… Mon bordel. – Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il en se penchant au-dessus de la table. Je suis assise sur son siège molletonné noir au moment où il s’empare des fils colorés étalés devant moi. – Je confectionnais un bracelet indien quand j’ai piqué du nez. – Comme ceux que tu portes ? – Oui… ça me déstresse. Et Dieu sait que j’en ai besoin en ce moment ! – C’est très… David cherche ses mots. Horrible ? Affreux ? Kitsch ? Je peux presque lire dans ses pensées avant qu’il ne repose le bijou artisanal. Il ne manipulerait pas autrement une grenade dégoupillée. Entre nous, c’est le choc des cultures. En permanence. Alors pourquoi l’air ne cesse-t-il pas de crépiter en notre présence, saturé d’électricité ? Depuis qu’il est entré dans son bureau, toute l’atmosphère a changé. – C’est très joli, conclut-il. – Menteur ! – Je dirais plutôt « diplomate », rétorque-t-il avec un sourire en coin. J’éclate de rire, heureuse de retrouver notre complicité. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’a pas découvert l’identité de ma grand-mère, qu’il n’est pas parti de mon appartement sans plus donner de nouvelles. Et parce qu’il songe à la même chose, nos regards se croisent. Intenses. Et anxieux. Au moins pour moi. – Tu ne répondais plus au téléphone, dis-je soudain en quittant son siège. Tu… tu as eu mes messages ? – Oui. Les quatorze. C’est beaucoup, je l’admets… Alors que je le contemple avec des yeux pleins d’espoir et que je contourne son grand bureau noir pour le rejoindre, il ne peut s’empêcher d’ajouter, visiblement amusé : – Grâce à toi, j’ai appris à dire au revoir dans une dizaine de nouvelles langues. – Ravie d’avoir pu rendre service ! Il rit doucement. Un son si rare, si précieux, que mon cœur se serre. Car David est du genre plutôt sérieux et intello. Très intello. Et très, très sérieux. Même si je sais quel feu passionné se cache sous

son masque de glace. Ce n’est qu’une façade, destinée à le protéger. Des autres ? De ses sentiments ? D’un monde qu’il ne peut pas totalement maîtriser ? Je l’ignore. Mais ne suis-je pas venue ici pour l’apprendre ? – Je suis désolé de ne pas avoir répondu, Hope. J’avais besoin d’un peu de temps pour réfléchir. – J’espère juste que tu n’as pas porté plainte pour harcèlement. – Non, pas encore. Avec un sourire, il s’assoit sur le rebord de son bureau, devant les piles parfaitement ordonnées de ses dossiers. Tout est rangé au millimètre près dans cette pièce où ne traîne pas le moindre grain de poussière. Je l’imite aussitôt, me perchant à ses côtés. Parce qu’il est beaucoup plus grand que moi, mon front se retrouve au niveau de son épaule. – J’ai beaucoup de mal avec mon passé, Hope. – Tu veux m’en parler ? Je m’attends à ce qu’il m’envoie sur les roses. Mais à ma grande surprise, il prend une grande inspiration et se lance, les yeux dans le vague : – Mon père n’a pas toujours battu ma mère, tu sais. Tout a commencé quand il a perdu son travail à la banque. Il s’est mis à rentrer de plus en plus tard, à taquiner la bouteille… Au début, ce n’était que des disputes, des brimades verbales. Je m’en souviens, même si j’étais âgé de 3 ou 4 ans à l’époque. Mon père en train de hurler : il s’agit de mon premier souvenir. Je me mords les lèvres pour éviter d’intervenir. À la moindre syllabe en trop, je redoute qu’il ne se referme et n’interrompe sa confession. Alors je me contente d’écouter. – Puis il y a eu une gifle, pour laquelle il s’est excusé le lendemain avec des fleurs. Et une autre. Et encore une autre. Jusqu’à ce que viennent les premiers coups de poing. Il a fini par la battre régulièrement, au sang. Ma mère n’avait pas de famille et il l’a coupée de tous ses amis. Nos voisins, eux, fermaient les yeux pour « éviter les problèmes ». Personne ne voulait s’en mêler. Il secoue la tête, ironique. – Au bout de plusieurs semaines de supplice, ma mère a croisé la route de Christina McKinney, un médium réputé. J’ignore comment elles se sont rencontrées. Mais ta grand-mère est souvent venue à la maison à partir de ce jour. Elle lisait l’avenir à ma mère à domicile tant celle-ci redoutait de s’absenter de chez elle et de provoquer la colère de son mari. – C’est affreux. Je ne trouve pas d’autres mots, même si c’est faible, même si c’est insuffisant. Car je peine à imaginer le calvaire enduré par Pamela Wagner, aux prises avec un époux alcoolique et violent. Et David ? Et Adrian ? Comment ces jeunes enfants ont-ils pu se construire dans ce climat hostile, odieux ?

– Qu’est-ce que ma grand-mère racontait à ta mère ? – Elle lui tirait les tarots. Même si je n’étais qu’un gamin, je me souviens de ses cartes. Mais le plus souvent, elle se contentait de parler. Je crois qu’elle soutenait ma mère, elle l’encourageait à faire ses valises et à partir. Jusqu’à lui faire part de sa dernière vision, celle où elle voyait mon père attenter à sa vie… Il y a soudain une telle colère dans la voix de David que je me fige. Il ne se retranche plus derrière son habituel bouclier de froideur. Avec précaution, je pose une main sur sa nuque, caressant au passage ses soyeux cheveux blonds. Je ne vois de lui que son profil régulier, aux mâchoires serrées. Et je devine toutes ces émotions si longtemps réprimées, étouffées. Cet homme est une véritable bombe à retardement. – Une vision qui a provoqué la mort de ma mère. – David, non… Comme il tourne la tête vers moi, je plonge dans ses yeux. – Christina lui a révélé sa prémonition, mais qu’elle soit vraie ou fausse, ce n’est pas cette vision qui a provoqué le décès de ta mère. David ne répond pas, mais mon cœur se déchire face à la souffrance visible sur ses traits. Un pli douloureux marque ses lèvres, une ombre assombrit son front. Et que dire de son regard, hanté ? – J’étais là quand ma mère est morte. J’ai assisté à la tragédie. J’attendais sur le perron de la maison près de ma valise. J’ai vu mon père descendre de son pick-up, fou de rage. Je l’ai vu foncer sur ma mère, la gifler à toute volée et la pousser contre le mur… Sa tête a cogné si violemment la porte du garage que j’ai entendu sa nuque craquer, même à cette distance. – Oh, non ! – J’entends encore ce son horrible dans certains cauchemars, la nuit. – David, je suis désolé. – Mon père a fini en prison après ce meurtre, même s’il n’était pas prémédité, du moins d’après les jurés. Pour moi, quand on bat une femme tous les jours, c’est qu’on programme sa mort à long terme. J’acquiesce, bouleversée. Je comprends mieux sa retenue permanente, son désir de museler ses émotions. Il cache un tel nœud de vipères derrière l’écran de son self-control… Seulement, j’ai l’impression qu’il se trompe de coupable. Peut-être pour trouver un autre responsable à ce drame, extérieur à sa famille… – Je n’ai pas connu ma grand-mère, dis-je avec douceur. Ma mère m’a toujours tenue éloignée d’elle. J’ignore si elle était un véritable médium ou un escroc, mais je pense qu’elle cherchait à aider ta mère. Sais-tu si Christina se faisait payer lors de ses visites chez toi ? – Non…, réfléchit David avec une certaine réticence. Je n’ai jamais vu ma mère lui donner de l’argent. Je crois qu’elle venait en amie. Mais j’étais gosse, je ne sais peut-être pas tout.

Cette confidence me soulage, confirmant mon intuition. En effet, pourquoi ma grand-mère se serait-elle attachée à une femme dans la détresse et sans ressources si elle voulait l’escroquer ? Elle n’avait rien à espérer de Pamela Wagner. Comme David garde le silence, je reprends : – En lui racontant cette vision, je pense qu’elle espérait provoquer un électrochoc chez ta mère et la pousser à prendre la bonne décision, à fuir un mari qui menaçait sa vie. Et quand même bien Christina se serait fait payer par Pamela, pour quelle autre raison aurait-elle été lui raconter cela ? Elle avait au contraire tout intérêt à se taire et à garder une cliente facile à impressionner et à flouer. Je ne doute pas qu’elle avait maints défauts, mais je suis persuadée qu’elle voulait sauver ta mère. Long silence. – Je sais que tu as raison, lâche enfin David. Il passe une main sur ses paupières, avant de pincer entre ses doigts l’arête de son nez en poussant un gros soupir. – Je n’ai sûrement pas assez de recul par rapport à cette histoire… – C’est normal. – C’est usant. Ça me bouffe de l’intérieur depuis des années. Sa détresse m’ébranle au plus profond de moi. En cet instant, je ferais n’importe quoi pour l’aider, le soutenir. – David… C’est alors qu’il se redresse brusquement. En une fraction de seconde, son expression change. La souffrance disparaît, réprimée par sa parfaite maîtrise. Quittant le rebord du bureau, il retire sa blouse blanche avec des gestes lents et mesurés, quasi calculés. Je le vois recouvrer son empire au prix d’un effort surhumain. Comment lui venir en aide ? Comment lui permettre d’exorciser un passé qu’il ensevelit volontairement au fond de son esprit ? Il s’agit sans doute pour lui d’un mécanisme de défense, sinon de survie… – Je ne sais pas ce qui m’arrive. Je parle beaucoup trop ce soir, sourit-il, crispé. Ce doit être ta présence… – J’aimerais faire quelque chose. – Ce n’est pas la peine, Hope. Et puis, tout va très bien. Je suis un grand garçon, maintenant. J’ai eu le temps de digérer. Alors pourquoi cette phrase sonne-t-elle si faux ? Il me sourit, égal à lui-même. Et j’ai soudain la conviction que nos routes ne se sont pas croisées par hasard. Le fait que ma grand-mère et sa mère se connaissaient ne relève pas d’une simple coïncidence – même si David protesterait du contraire. Nous devions nous rencontrer, tous les deux. Même si j’ignore pourquoi. C’est alors qu’il se tourne vers moi pour un dernier aveu.

– Je regrette d’être parti aussi vite la dernière fois. J’aurais dû écouter tes explications… d’autant que je n’avais rien à te reprocher. Pardonne-moi si je t’ai blessée. Cette fois, c’est moi qui ne peux plus rien dire. – Je suis heureux que tu sois venu, Hope. Vraiment heureux. Nos regards se croisent, intenses. Et David m’interroge soudain, sans quitter mes iris émeraude : – Tu as eu de nouvelles visions récemment ? Je souris. Je pense que jamais David n’avait un jour imaginé poser ce genre de question à quelqu’un. – Non. On dirait que tout est rentré dans l’ordre. Ce qui semble le soulager infiniment, comme en témoigne son discret soupir. Oui, tout va mieux. Surtout depuis qu’il me regarde avec ces yeux-là… *** Quelques minutes plus tard, David m’entraîne dans les couloirs de la clinique. Lui si grave, si distant et mesuré ressemble à un gamin en train de faire le mur. La preuve ? Il attend que les deux infirmières de garde disparaissent dans la salle de repos pour tenter une percée. – Je ne veux pas qu’on nous voie, m’explique-t-il à voix basse. Je pouffe de rire alors qu’il s’engouffre dans la cage d’escalier, en tenant ma main. Ses doigts entourent les miens avec une force surprenante. Et je n’ai plus envie qu’il les lâche. Jamais. Ensemble, nous avalons les marches par deux ou trois. – Normalement, nous n’avons pas le droit de monter, ajoute-t-il avec un clin d’œil craquant. David Wagner qui fait quelque chose d’interdit ? Je tiens absolument à voir ça ! Car mon séduisant Viking ne semble guère habitué à marcher en dehors des clous. – On s’apprête à enfreindre le règlement ? je lui susurre à l’oreille au moment où il s’arrête derrière un gros panneau « Interdit ». – Oui, au moins deux ou trois points, me répond-il, mi-sérieux, mi-sarcastique. Avec un sourire charmeur, il sort un trousseau de sa poche et ouvre une porte condamnée. Celle-ci donne accès à un autre escalier, en ferraille et nettement plus rudimentaire. Ma paume dans la sienne, il m’emmène alors… sur le toit de la clinique. Une légère brise estivale caresse mon visage et mes épaules dénudées par mon top coloré. La vue sur San Francisco est à couper le souffle. Sans parler

du ciel qui pèse au-dessus de nous, croulant sous les étoiles. – C’est magnifique ! – Et j’ai une autre surprise… Il semble aussi excité qu’un gamin. Et je le trouve incroyablement touchant. Sans s’en rendre compte, il me dévoile une autre facette de sa personnalité : celle qui n’a pas eu le temps de grandir, loin du médecin sous contrôle ou de l’amant sûr de lui. Un troisième visage qui me touche en plein cœur. S’écartant un peu, il ouvre un bras et me présente un coin aménagé au bout du toit. Deux chaises longues, quelques coussins, une grande couverture, une glacière et un télescope forment un ensemble charmant et hétéroclite. – Où sommes-nous ? – Gregory et moi avons installé cet endroit pour souffler entre deux gardes. Une sorte de retraite. – Qui a eu cette idée ? – Moi, pourquoi ? Je l’examine avec attention. – Vous êtes un homme surprenant, docteur Wagner. À son invite, je prends place dans l’une des chaises. Et au sommet du bâtiment, David me tend une canette de jus de fruit. Fascinée, j’admire le ciel au-dessus de nos têtes pendant qu’il s’installe à mes pieds, dédaignant l’autre siège pour rester près de moi. Pendant quelques instants, nous buvons en silence. – Sais-tu que je connais le nom de toutes les constellations ? je fanfaronne, l’œil malicieux. – Moi aussi. – Ça ne m’étonne pas de ta part, monsieur Je-Sais-Tout. Mais je doute que tu fasses aussi bien que moi. – C’est un défi ? s’amuse-t-il. Son regard brille. À l’évidence, David est un compétiteur-né, comme en témoigne sa réussite. Je désigne alors un amas d’étoiles. – Tu vois cette forme ? N’ayant qu’à piocher dans son savoir encyclopédique, il répond du tac au tac, sans la moindre hésitation : – Le Cygne. – Pas du tout. C’est une bouteille de coca. Regarde, tu peux apercevoir le bec. Et plus loin… – Andromède ? – Perdu ! C’est le barman qui va te servir. On distingue bien ses bras et son plateau. Il court, le pauvre. Il est submergé par les commandes. Et à côté se trouve la constellation de l’araignée à neuf

pattes. Elle m’a toujours fichu une trouille bleue. Je souris avant de pointer l’index dans une autre direction. – La constellation du Stiletto ! Si tu penches la tête sur le côté, tu ne peux pas rater le talon aiguille. Me tournant vers mon compagnon, je lui souris, très satisfaite de ma démonstration. Et je découvre son regard sur moi, si intense qu’il me surprend. Surprise, je recule dans ma chaise longue, les jambes étendues sur la toile à rayures. J’ai l’impression qu’il n’a pas contemplé la Voie lactée une seule seconde, préférant se concentrer sur moi. – J’aime ta façon de voir le monde, Hope. Tout devient extraordinaire avec toi. Il se rapproche de moi, grignotant centimètre après centimètre. Et je frémis lorsqu’il pose une main sur ma cuisse, à travers ma robe en coton. – Tu rends la vie magique. Même pour un homme qui a cessé de croire en presque tout. – Tu ne crois plus en rien ? je demande, la voix rauque. Son visage se rapproche du mien alors qu’il tend le cou, assis sur l’épaisse couverture étendue au sol. – Je crois en moi. Son souffle chatouille ma bouche avant qu’il ne m’embrasse, avant que tout ne dérape. Le désir grossit entre nous, évident, énorme. Dès l’instant où nous avons franchi la porte du toit, j’ai su que cette soirée se terminerait de cette façon. – Et en toi, ajoute-t-il. Nos lèvres se trouvent, avides, pour un baiser aussi explosif que notre relation. Jamais deux êtres aussi éloignés l’un de l’autre n’ont été aussi proches. Nos langues se joignent en une caresse bouleversante… et j’oublie tout. Notre accrochage. Sa semaine d’absence. J’oublie tout ce qui n’est pas ses bras, sa chaleur, sa bouche, cette nuit devant nous… Sous la voûte céleste, David m’embrasse avec une passion très éloignée de son personnage froid et distant. Lui rendant son baiser avec fougue, je noue mes bras autour de sa nuque. Et me redressant dans ma chaise longue, je me penche vers lui, agenouillé à mes pieds. Pour une fois, c’est moi qui le domine de ma petite taille. Je passe mes mains dans ses cheveux blonds, dont les mèches soyeuses caressent ma peau. Je le retrouve. Je le retrouve enfin. Après cet insupportable éloignement, je le tiens contre moi, entre mes doigts fébriles. – Je ne veux plus que tu t’éloignes…

Les mots m’ont échappé. – Je suis là, Hope. Je ne partirai plus. Nos murmures se mêlent à notre baiser, se diluant dans nos salives. À nouveau, nos bouches se caressent tandis que sa langue entre en moi, gourmande. Je ne résiste pas. Inclinant la tête, je me laisse aller dans ses bras qui m’enveloppent. David me serre contre lui, contre son torse. Et l’évidence de nos deux corps, leur alchimie, me sautent à la figure. Chaque geste est naturel, comme si nous étions faits l’un pour l’autre, telles les deux faces d’une même pièce. Emportée par le désir, je m’abandonne. David me fait descendre de ma chaise et je me retrouve assise sur ses cuisses. À aucun moment, notre baiser ne cesse. Il devient au contraire plus profond, plus ardent. À califourchon sur lui, je mordille sa lèvre inférieure, enivrée par son goût. Son parfum ambré me parvient en délicieuses bouffées, mêlées à l’odeur masculine de sa peau. J’en ai la tête qui tourne. Heureusement, je suis déjà assise… parce que cet homme me ferait tomber à la renverse. Mes mains se mettent à courir sur sa chemise blanche, après avoir ôté sa cravate. Un à un, j’en défais les boutons. Mais quand je recule un peu, David ne me laisse pas faire. Il vient à ma rencontre et reprend mes lèvres avec voracité, sans me laisser une chance de respirer. Comme si j’en avais envie ! Il est mon oxygène, mon souffle, mon air. Nos langues se tournent autour pendant que j’ouvre sa chemise, écartant les pans pour libérer ses muscles nerveux, athlétiques. – Mmm… Mon gémissement. Ou le sien. Quelle importance ? Nous sommes en train de nous fondre l’un en l’autre, de nous diluer peu à peu au sommet de la clinique. – Tu m’as tellement manqué, dis-je. Mes doigts glissent sur ses pectoraux, savourant les lignes harmonieuses et puissantes de son corps. Je sens une vague de chaleur monter en moi. David me répond d’un baiser plus sauvage, qui me cloue à lui. Sans m’arrêter, je lui enlève son vêtement, le faisant glisser de ses épaules. Le tissu tombe derrière lui, sur la couverture qui nous sert de terrain de jeux. Torse nu, David se presse contre moi et mes seins qui pointent déjà sous l’étoffe de mon top. L’excitation grimpe. Comme la température. La nuit risque d’être bouillante… M’arrachant au sortilège de ses lèvres, je dépose de petits baisers sur son menton, dans son cou, descendant lentement vers son buste. Et de mes mains, j’explore ses larges épaules et caresse son dos. Ses muscles roulent sous mes doigts, accroissant cette envie qui s’ouvre comme une fleur affamée, carnivore, au creux de mon ventre. Bientôt, je suis obligée de quitter ses genoux pour embrasser son torse. J’y parsème une pluie de petites marques douces. Jamais je ne me lasserai de son anatomie.

– C’est à mon tour de m’occuper de toi, fais-je dans un chuchotement. Ma voix vacille, telle la flamme d’une chandelle soumise au vent du désir. Les yeux de David étincellent lorsque je m’attaque à la boucle de sa ceinture. Je retire la petite tige en métal et fais glisser la longue bande de cuir. Devine-t-il ce que je vais faire ? À en croire la veine bleutée qui pulse à son cou, sans aucun doute… Pour affoler le baromètre, je m’amuse à passer la pointe de ma langue sur mes lèvres. – Hope… C’est à la fois une supplique et une sorte de douce menace. Car je joue avec ses nerfs en abaissant lentement sa braguette. Puis, d’une main autoritaire sur sa poitrine nue, je le repousse en arrière. David s’étend sur la couverture, sur le dos. Et je n’ai qu’à lui ôter son pantalon, le laissant glisser le long de ses jambes après qu’il a retiré ses chaussures. Cet homme est parfait des pieds à la tête. C’est criminel. Avant de venir sur lui, je retire aussi ma jupe, la laissant tomber par terre avant d’envoyer voler mon top par-dessus ma tête. Par ce geste, je libère mes seins nus, faute de porter un soutien-gorge – je m’en dispense souvent l’été. Je vois la pomme d’Adam de mon compagnon bouger en réaction. Puis ses bras se tendre. – Tu ne peux pas me faire ça…, gronde-t-il. – Oh que si ! fais-je dans un sourire. Car je ne viens pas à lui – ou pas tout de suite. En petite culotte blanche, je retire mes sandales et m’attaque à la dernière barrière de tissu entre nous, son boxer. D’abord, je plaque une main sur l’étoffe. Je moule son sexe de ma paume alors qu’il s’enflamme. Et je le titille, le prenant au creux de ma main en un délicieux frottement. Un râle sourd lui échappe au moment où je lui ôte son boxer, délivrant son érection. Ne me reste qu’à ramper au-dessus de lui, m’asseoir sur ses jambes, me pencher. Les yeux fiévreux, David est dressé sur ses coudes. Et ses paupières se ferment lorsque je m’empare de son sexe. Je le presse entre mes doigts, ni trop fort, ni trop peu. J’imprime à mon poignet un lent mouvement de va-et-vient… Pendant une minute, je regarde le visage de mon amant se tendre, ses mâchoires se contracter. J’aime lui donner du plaisir. Et je me penche pour le prendre dans ma bouche. – Tu vas me rendre fou… J’espère bien. Entre mes lèvres, je découvre son goût particulier, la douceur de sa peau tiède. Je le fais coulisser en moi, l’enveloppant de ma langue. Pendant quelques minutes, je me consacre à ce tendre supplice. Si je ne peux plus voir mon amant, je sens sa main dans mes cheveux, qui caresse mon crâne, qui

accompagne mes gestes. Il se laisse faire. Il n’intervient pas. Lui qui contrôle tout s’abandonne à ma bouche. Bientôt, je devine les tensions dans tout son corps. Le plaisir arrive, telle une gigantesque vague. – Attends, attends… Il attrape doucement mon visage entre ses grandes paumes. À ses yeux embrumés, je devine qu’il ne peut plus tenir. – Je te veux, Hope. Je veux partager ça avec toi. Refusant un plaisir solitaire, David m’aide à me redresser. Moi, je n’ai qu’à tendre le bras pour récupérer l’un des préservatifs rangés dans mon sac à main, au pied de la chaise longue. Notre passeport pour le plaisir. Et assise sur David, je gémis à mon tour quand ses mains se referment sur mes petits seins. Il en pousse un soupir de satisfaction. Et tandis qu’il joue avec les pointes tendues vers lui, je le gaine, enfilant notre protection dans une ultime caresse. – Non, fais-je. Je l’arrête avant qu’il ne m’attrape par les hanches, qu’il ne prenne le contrôle. – Laisse-toi faire… Je veux garder les commandes. Un éclat étrange brille dans son regard… mais il ne résiste pas. Et c’est moi qui me dresse et m’empale sur lui. C’est moi qui le chevauche alors que son sexe entre au creux de mon corps. Sa chaleur m’envahit, me remuant le cœur, me tournant la tête. J’en perds pied une seconde. Puis assise sur lui, je me mets à onduler, les deux mains agrippées à ses épaules. Lui me caresse, faisant glisser ses paumes de mes hanches vers mes seins, qu’il enveloppe de ses doigts. Mon élan nous emporte tous les deux. Et mes reins s’embrasent au moment où il décroche la lune. Nous jouissons en même temps. Ensemble. À mon rythme effréné. Les paumes soudées à ma taille, David émet un long soupir. Et j’enfouis ma tête au creux de son cou, vidée de mes forces, remplie de lui. Submergée par le plaisir, je me désintègre, je me fonds en lui. Je ne fais plus qu’un avec sa peau, ses muscles, son corps. Sur le toit de la clinique, nos deux silhouettes bougent au rythme de nos gémissements, se découpant au milieu des étoiles où nous atterrissons.

3. Un pont vers le passé

Pour la centième fois, je jette un coup d’œil à la façade de la boutique où j’ai rendez-vous. Passer une soirée magique hier soir dans les bras de David m’a redonné de l’énergie. Et j’ai décidé de tirer les choses au clair au sujet de mes rêves prémonitoires et de leur disparition, mais aussi de comprendre pourquoi ma mère n’a jamais eu de vision. Et que dois-je penser de ma grand-mère ? J’ai un milliard de questions sans réponse. Cette histoire m’obsède, me trotte sans cesse dans la tête. Je voudrais connaître le passé de ma famille, savoir d’où je viens. C’est ça, le plus important. Audessus de ma tête clignote une enseigne en néons, en forme de quart de lune. – On verra bien… Je cesse de tergiverser. Et vêtue d’une robe bleu ciel avec un volant autour des épaules, je franchis le seuil. Je n’ai pas eu le temps de me changer à l’issue de ma journée de travail à Flower Power. Je me suis directement rendue ici, où m’attend la seule femme capable de m’aider. Du moins, je l’espère. D’après mes recherches sur Internet, elle n’est pas la première venue dans le domaine de la voyance. Une petite clochette tintinnabule au moment où je franchis le seuil. – Y a quelqu’un ? Je me retrouve dans une grande salle déserte avec, en son centre, une table ronde munie d’une grosse boule en cristal. C’est la première fois que j’en vois une vraie. On dirait une boule de bowling ! J’examine le reste du décor. Des affiches occultes décorent les murs : dessins de pentacle, annonce d’un festival de voyance en Californie… Derrière le comptoir, je repère de grandes étagères surchargées de livres ésotériques et d’objets étranges – pendules, planche oui-ja. Sans parler du tourniquet derrière moi qui propose différents colifichets. Je m’empare d’un joli médaillon. – De l’antimoine ! annonce une belle voix grave. Je sursaute. – Ce métal est réputé pour protéger son détenteur des esprits malveillants et des démons. Un kilo, s’il vous plaît ! – Vraiment ? fais-je en pivotant vers l’unique porte latérale. Une jeune femme se tient sur le seuil, une main artistement posée sur le chambranle, l’autre sur la hanche. Elle est… spectaculaire. Eva Mendes réincarnée avec ses immenses yeux de biche noirs, sa bouche pulpeuse et sa lourde chevelure chocolat. Mais sa beauté m’impressionne moins que sa longue robe kimono noire, au profond décolleté en V. Elle paraît sortie d’un film.

– Je ne sais pas… Je n’ai jamais rencontré de démon ! sourit-elle, énigmatique. – Sofia Morales ? – En personne ! Je suppose que vous êtes Hope Robinson ? J’acquiesce d’un signe de tête tandis qu’elle s’approche de moi dans un délicat frou-frou d’étoffe. – Vous lui ressemblez comme deux gouttes d’eau ! C’est stupéfiant. – Pardon ? – Je parle de Christina, bien sûr ! Vous avez ses extraordinaires yeux verts. On voit tout de suite que vous êtes douée de clairvoyance. Je me raidis, un peu désarçonnée. Que dois-je comprendre ? Je n’ai pas le temps de m’interroger que la superbe Italienne me prend chaleureusement dans ses bras. Elle me claque une bise sonore sur la joue, quitte à me laisser une marque de rouge à lèvres sur la pommette… – Je suis ravie de vous rencontrer ! – Moi aussi… Elle me semble à la fois sympathique et… je ne sais pas. Quelque chose m’échappe. D’une nature hyper sociable, j’adore rencontrer de nouvelles têtes, mais un détail coince, inexplicable. Heureusement, cette mauvaise impression s’évapore à mesure que Sofia parle, me guidant vers sa table de voyance. Je me fais des idées, voilà tout. Ces histoires de voyance vont finir par me rendre parano. – Vous êtes jeune, mademoiselle Morales. – Je fêterai mes 30 ans en août. Et appelez-moi Sofia, par pitié. J’ai l’impression d’être une vieille croulante… Elle n’a pas l’air surprise par ma remarque. Je souris pendant qu’elle range ses cartes de tarot dans une boîte d’inspiration orientale. Nous sommes assises l’une en face de l’autre, la boule de cristal rose entre nous. Des tentures en velours rouge couvrent les fenêtres, très théâtrales, en nous empêchant de voir la rue. Au mur, une pendule affiche 20 heures passées. – Si je vous dis cela, c’est parce que… – … vous aimeriez savoir si j’ai connu votre grand-mère. – Oui. C’est ça ! fais-je, un peu impressionnée. Elle est très forte. Intuition, hasard ou réel don ? Je ne peux pas trancher, même si j’ai passé plusieurs nuits à surfer sur le Web afin de collecter des infos au sujet de Sofia. Depuis que ma mère a lâché son nom lors de notre dernière dispute, cette femme m’obnubile. Pas comme si j’étais un serial killer, hein ! J’ai encore toute ma tête. Mais elle représente un nouveau lien avec mon passé, ma famille, ma grandmère. Sofia Morales est une voyante très renommée – une petite sommité dans son milieu. Grâce à son côté diva, elle a su attirer une foule de clients en mal de prédictions.

Moi en tête… – J’ai eu la chance de la rencontrer à plusieurs reprises. Christina était une femme exceptionnelle, le plus grand médium que j’aie jamais croisé. Carmen, ma grand-mère, l’admirait. – Elles travaillaient ensemble ? – Carmen était son assistante et l’aidait durant ses séances de spiritisme, notamment quand les esprits parlaient à travers sa bouche et prenaient possession d’elle. Elle recevait aussi certains de ses clients. Christina était si populaire qu’elle ne pouvait pas répondre elle-même à toutes les demandes. C’était de la folie, à l’époque ! Je me tortille sur ma chaise. Spiritisme ? Possession ? À mes yeux, ces pratiques sont réservées au cinéma… ou aux mystificateurs. À nouveau, je redoute que ma grand-mère ne fasse partie de cette catégorie et, tout en tripotant l’un de mes bracelets, j’hésite à poser la question qui me brûle les lèvres : – Comment était Christina ? Ce n’est pas seulement le médium qui m’intéresse… mais la femme, la mère, la grand-mère. Don ou pas, je veux en apprendre plus sur elle. N’appartient-elle pas à ma famille ? Ne suis-je pas de son sang ? Je contemple si avidement Sofia qu’elle esquisse un sourire. Mes motivations sont transparentes. – D’après ma grand-mère et ce que j’ai pu voir, c’était une femme de tête. Elle avait beaucoup de caractère. Trop, parfois. Elle pouvait se montrer très autoritaire avec ses proches, sourit-elle. Elle faisait marcher son monde à la baguette, mais elle avait aussi d’énormes qualités : elle était forte, sûre d’elle, généreuse. Elle n’hésitait jamais à donner de son temps pour aider les autres. Et puis, elle se fichait pas mal de l’opinion des gens. Cela nous fait au moins un point commun… – Elle… J’hésite encore, mais Sofia m’encourage d’un signe de la main. – Parlait-elle de ma mère ? Ou même… de moi ? – Quelquefois, oui. Ne plus voir sa fille la rendait très malheureuse. Hélas, je n’étais pas assez proche d’elle : j’étais trop jeune pour qu’elle se confie à moi. Elle parlait davantage à ma grandmère… qui est aujourd’hui en clinique, atteinte d’Alzheimer. – Je suis désolée ! Sofia tapote ma main. Et au bout d’une minute, j’ose lui poser la question qui me taraude depuis des jours. – Les pouvoirs de ma grand-mère étaient-ils réels ? – Oh que oui ! Elle n’avait rien d’un charlatan, croyez-moi…

– Mais les journaux… – Les journaux écrivent beaucoup de conneries ! tranche Sofia. Je trouve la pirouette un peu facile. Sofia ne me donne guère d’arguments, de preuves concrètes. Que penser ? Qui a raison ou tort ? Ma propre expérience et mes visions m’inciteraient à la croire, mais ce monde est nouveau et mystérieux pour moi. La voyante, elle, continue sur sa lancée avec un petit sourire aux lèvres : – Je me rappelle notamment la première transe à laquelle j’ai assisté… Et durant un quart d’heure, elle me raconte plusieurs anecdotes où ma grand-mère aurait réussi à soulever le voile de l’avenir. – Elle était aussi très drôle… Je me souviens d’un jour où une cliente lui avait demandé d’entrer en contact avec son chien disparu. Elle s’est mise à aboyer ! Et elle a avoué qu’elle n’arrivait pas à traduire. J’éclate de rire tandis qu’un autre portrait de ma grand-mère se dessine, loin de l’escroc fustigé par la presse ou de la sorcière décrite par ma mère. J’ignore qui a raison ou tort… Peut-être Christina McKinney avait-elle sa part d’ombre et de lumière, comme tout le monde. Je continue à triturer mes bracelets, nerveuse. Car je ne suis pas seulement venue pour remuer le passé… mais pour une consultation. Et fine mouche, Sofia semble s’en souvenir en détaillant mon expression. – Si on s’intéressait un peu à vous, Hope ? Vous m’avez parlé de vos rêves au téléphone, hier… Posant ses mains à plat sur la table, paumes ouvertes vers le plafond, elle m’incite à glisser mes doigts dans les siens. Je n’hésite pas une seconde, en quête de réponses. J’ai aussi envie de tester les pouvoirs de Sofia. – Je voudrais savoir si j’ai un pouvoir de médium, moi aussi. Et si tel est le cas, pourquoi mon « don » se réveille maintenant et s’endort tout de suite après ? D’ailleurs, pourquoi je n’ai jamais eu de prémonitions avant ces dernières semaines ? Sofia sourit, les paupières déjà closes. – Ça fait beaucoup de questions. Une seule chose à la fois, Hope. Dans la semi-pénombre, à peine troublée par une lampe de chevet allumée dans un coin, Sofia commence à se balancer d’avant en arrière. Au début, ça surprend. Carrément. Je fais un bond sur ma chaise avant de comprendre qu’elle entre en transe. À moins qu’elle n’ait de réels talents de comédienne ? Quand soudain, sa voix s’élève, altérée, différente. Elle est devant moi, mais j’ai l’impression qu’elle se trouve très loin, comme si ses paroles me parvenaient à travers une cloison ou un voile épais. – Je vois…

Je suis figée, en stand-by. Je ne sais pas si je dois rire ou être effrayée. Oui, que voit-elle ? – Je vois une ombre derrière vous… Je me retourne illico comme si j’allais surprendre quelqu’un dans mon dos. Genre un psychopathe. Tout ça sans rompre le contact avec Sofia, qui tient fermement mes mains. – Une ombre bienveillante… précise-t-elle. – Vous… vous voyez qui c’est ? je tente. – Je… Les yeux de Sofia se révulsent. Toujours closes, ses paupières tressautent, frémissent, et sa cornée apparaît sous la rangée de ses longs cils noirs. C’est… glaçant. Je me retiens toutefois de bouger, secouée par ce spectacle étrange sans parvenir à savoir s’il s’agit d’une mise en scène ou de la réalité. Je sais pourtant que ce genre de pouvoirs existe réellement. N’en suis-je pas la preuve ? N’en ai-je pas fait l’expérience ? – Vous avez toujours eu ce pouvoir… Je frissonne, mais Sofia ne me lâche plus, serrant mes poignets à m’en faire mal, comme dans un étau. – Il était en sommeil, il dormait depuis des années… – Mais pourquoi s’est-il réveillé ? Pourquoi maintenant ? – Attendez… L’esprit s’éloigne… – Quel esprit ? Sofia pousse un long, un terrible gémissement à faire dresser les cheveux sur la tête. – Non ! crie-t-elle, au comble de l’agitation. Ne partez pas ! Brutalement, sa tête bascule en arrière, mue par une force invisible. À croire qu’elle vient de recevoir un uppercut au menton. Je recule dans mon siège, sans qu’elle daigne me délivrer de son emprise. Ses mains se sont transformées en menottes autour de mes bras. Je ne peux pas me lever. Gagnée par la panique, par l’atmosphère étrange, j’ai envie que cette transe s’arrête. Vraie ou fausse, elle me met mal à l’aise. – L’esprit… Il s’éloigne… – Quel esprit ? je répète, fébrile. Mais Sofia s’affale d’un seul coup sur la table. Délaissant mes mains, elle s’écroule devant sa boule de cristal, enfouissant sa tête entre ses bras sous un torrent de cheveux bruns. Elle ne bouge plus, silencieuse. Imaginant le pire, je quitte ma chaise et contourne la table pour presser l’une de ses

épaules. – Sofia ! Sofia, tout va bien ? Aucun signe de vie. Je la secoue… jusqu’à ce qu’elle émette un faible gémissement, à mon grand soulagement. Et avec lenteur, elle se redresse, repoussant en arrière quelques mèches folles. Mais le visage qu’elle lève vers moi est pâle, défait, las. Apparemment, les connexions à l’au-delà ne se font pas en haut débit. Elles sont poussives et douloureuses. Face à sa pâleur, mon incrédulité vacille : personne ne pourrait jouer la comédie à ce point, elle a forcément un don. – Je suis désolée, Hope. Je n’ai pas pu retenir l’esprit qui veille sur vous. Mais cet être vous protège. Quant à vos pouvoirs, ils ne se sont pas réveillés pour rien. Il y a une bonne raison. À vous de la découvrir. J’acquiesce, sous le choc. Et cinq minutes plus tard, tandis que j’aide Sofia à ranger sa boutique, je croise ma figure livide dans l’un des miroirs en forme de papillon accrochés au mur. Je suis encore plus blême que la voyante, qui semble retrouver son énergie au fil des minutes. Attrapant sa veste, elle me prend par le bras pour m’entraîner vers la sortie : – Je suis navrée de ne pas avoir pu vous aider davantage. – Vous avez déjà fait beaucoup. – Et merci d’être restée pour la fermeture. Avec ce tueur au couteau qui sévit dans les rues, je n’ai aucune envie d’être la prochaine cible ! *** De retour à l’appartement, je m’installe sur le tapis du salon devant mon mur « créativité » couvert de taches colorées, de peintures et de dessins. Et je pose deux gros albums sur la table basse avant de tourner lentement mes poignets et d’agiter mes doigts. Je me prépare à découvrir le contenu de ces archives, prêtées par Sofia. Avant que je ne parte, la voyante est retournée en courant dans sa réserve pour me les confier. – Ils vous seront plus utiles qu’à moi… J’inspire un grand coup afin de rester détendue, positive… même si je m’attends au pire. Je bois aussi une gorgée de mon célébrissime thé au poivre pour me donner du courage. Quand j’ai décidé d’enquêter sur ma grand-mère, j’ai toujours su que les découvertes ne seraient pas forcément agréables. Et j’ouvre un premier classeur après avoir allumé un bâtonnet d’encens au santal. – Voyons ça… Sur la première page, une photo de ma grand-mère en compagnie d’une autre femme – probablement Carmen Morales, son assistante, qui affiche une ressemblance troublante avec Sofia. Elles fixent l’objectif avec un grand sourire, et des fringues des années 1980 dignes de Joan Collins.

Je pouffe de rire devant les vestes à épaulettes et les coiffures blindées. Puis je me penche vers Christina. Nous avons les mêmes yeux verts, c’est vrai. Ça me fait tout bizarre… Je commence à feuilleter les pages. Dans ces albums, Sofia a rassemblé toutes les informations qu’elle a pu compiler sur ma grand-mère et la sienne. Photos, petits mots… mais surtout, d’innombrables articles découpés dans la presse. La plupart sont consacrés à mon aïeule, plus célèbre que Carmen, toujours restée dans l’ombre. – « Un vrai médium à San Francisco », lis-je à voix haute. Les premières coupures sont dithyrambiques… ou sceptiques. Certains journalistes semblent fascinés par les dons de Christina après avoir assisté à l’une de ses séances. D’autres, au contraire, se montrent plus réticents, même s’ils lui reconnaissent un talent certain pour la mise en scène et une réelle empathie. Je les parcours en diagonale. Avant que mon cœur ne manque un battement. – « Escroc, es-tu là ? » Ma voix résonne bizarrement dans l’appartement désert. Et je remonte le vieux châle en crochet multicolore jeté sur mes épaules. Je continue à déchiffrer tout haut : – « La famille d’un ancien client du célèbre médium, Christina McKinney, porte plainte pour abus de faiblesse… » Que s’est-il passé au juste ? Je tourne frénétiquement les pages, jusqu’à trouver une manchette du San Francisco Chronicles. « Suicide sous influence ». Un certain Alexander Lloyd aurait attenté à ses jours après avoir été ruiné à cause de ma grand-mère. Puissant banquier, il aurait investi toute sa fortune en Bourse sur les conseils de Christina, en se fiant aveuglément à ses visions. – Ce n’est pas possible… Je trouve d’autres coupures de presse dans les albums. Le nom d’Alexander revient tout le temps. Son suicide a tout déclenché. C’est la femme de M. Lloyd qui a porté plainte la première contre Christina après avoir retrouvé le corps de son époux, pendu au bout d’une corde dans son garage. Assise en tailleur, je recule brusquement. L’image du corps se balançant dans le vide danse devant mes yeux. Quelle horreur ! – « D’autres victimes se manifestent », lis-je. Par la suite, l’avocat de Mme Lloyd a retrouvé d’autres clients mécontents, plumés ou floués par ma grand-mère en vue de mener une action collective en justice. Sur une photo, j’aperçois mon aïeule en train de descendre les marches d’un commissariat de police, un bras braqué devant son visage pour échapper aux objectifs des photographes. Elle a l’air affolée, perdue.

– « Quinze victimes sur la paille »… « Le médium était une voleuse »… « L’escroquerie de l’audelà »… « Arnaque aux esprits ! »… « Le filon du désespoir »… Je referme la reliure d’un geste sec, ces horribles titres plein la tête. Et je repousse les gros volumes comme s’il s’agissait de bâtons de dynamite sur le point d’exploser. D’après Sofia et maints journalistes, ma grand-mère était bien dotée de pouvoirs extralucides et l’aurait prouvé à plusieurs reprises. Sauf qu’elle a dérapé, elle s’est égarée en route. Corrompue par l’appât du gain, elle a volé et manipulé plusieurs personnes… avant de mourir d’une crise cardiaque, quelques semaines avant son procès. Je déglutis avec peine, secouée. Est-ce mon héritage ? Est-ce ce qui m’attend ? Dois-je vraiment y croire ? J’essaie de dresser un portrait honnête de ma grand-mère : au début de sa carrière, elle ne semblait pas abuser de la faiblesse des gens. Mais à quoi ressemblaient ses séances de voyance ? Se mettait-elle en scène comme Sofia ? Je suis ébranlée. Le don de Christina ressemble à mes yeux à une malédiction. Au fond de moi, je redoute que mes visions ou mes rêves ne recommencent. Et j’ai moins peur des flashs eux-mêmes que de me mettre à changer profondément, comme ma grand-mère avant moi. Je ne veux pas que cet héritage me transforme, me cannibalise. Je passe une main sur ma bouche, retenant un gémissement angoissé. J’ai peur. J’ai vraiment peur. Du futur que je pourrais à nouveau voir. Du passé qui est le mien. Du présent que je ne contrôle plus. J’aurais besoin d’un signe pour y voir clair. Quand soudain, la sonnette retentit… *** Je demande un signe… et ma porte sonne ! Waouh ! La prochaine fois, je commanderai une pizza au saumon. Et un million de dollars. Quittant le tapis du salon, je traverse le couloir en chaussons. Nouveau coup de sonnette. Plus vif, plus insistant. Surprise, je jette un coup d’œil dans le judas… sans apercevoir mon visiteur. Je discerne seulement une forme agitée, qui bouge et tourne en rond sur mon paillasson en forme de cœur. Et avant que mon visiteur n’enfonce encore le bouton et ne me crève les tympans, je retire le verrou et la chaîne. – Oui ? Je me retrouve face à… Charles Thompson. Le mentor de David. L’homme qui l’a agressé sur le balcon du Palace Hotel. – Hope… Robin… Robinson ? demande-t-il d’une voix pâteuse. Il doit s’y reprendre à deux fois pour prononcer mon nom. À son élocution trébuchante et à la teinte rougeaude de ses joues, je devine sans peine qu’il n’est pas sobre. Il semble même sérieusement éméché. Pour éviter de tituber, il se raccroche d’une main tremblante au chambranle. J’attaque la première : – Que faites-vous ici ? – Je dois vous parler.

– Comment avez-vous obtenu mon adresse ? La fuite ne peut pas venir de David. Je n’ai aucun doute sur ce point. Le neurochirurgien me décoche un regard embué, voilé par l’alcool. Combien de verres a-t-il ingurgités avant de frapper à ma porte ? Quand il desserre les lèvres, je sens l’odeur entêtante de la vodka et du gin. – Je… j’ai regardé la fiche de Claire Barnett… sa fiche… sa paie… Je reste droite comme un « i », même si je ne suis pas rassurée. Cet homme ne m’inspire pas confiance, surtout après ce que m’a raconté David à son sujet. Je n’ignore pas qu’un de ses patients a failli mourir par sa faute sur la table d’opération. De quoi ce docteur est-il capable ? Jusqu’où peut-il aller ? – C’est votre colocataire. Je le sais ! me lance-t-il en pointant un index accusateur dans ma direction. Gregory Lawrence en parlait avec… avec David… Tout s’explique. J’ai en effet parlé de Claire à David avant notre brève séparation, lorsqu’il m’a demandé à qui appartenait la seconde chambre de l’appartement. Il n’a d’ailleurs pas manqué de s’amuser de la coïncidence en apprenant que je vivais avec l’une de ses infirmières. Coïncidence ? Moi, je n’y crois pas… Tout semble au contraire nous mener l’un vers l’autre, depuis le début. Mais c’est une autre histoire. – Que voulez-vous ? – Vous le savez très bien. Cette fois, son timbre est nettement moins hésitant ou heurté. Une petite lueur éclaire son regard, hostile. Je me raccroche à la porte. Je tiens le battant entre mes doigts, prête à le claquer au moindre signe d’agressivité. Car je me sens en danger. – Vous m’avez vu à la clinique… hier… ou avant-hier… C’était hier, mais je ne rectifie pas. – Ou vous croyez m’avoir vu… parce que ce n’est pas du tout ce que vous imaginez… vraiment pas du tout… – Si vous le dites. – Je suis médecin. Vous entendez ? Et la clinique Saint-Peters m’appartient ! Vous comprenez qui je suis ? Je me garde de répliquer, mais Charles Thompson s’enflamme. Le ton monte alors qu’il me dévisage avec colère. – J’avais parfaitement le droit de me trouver dans la pharmacie de mon établissement ! – Je n’ai jamais dit le contraire. – Ces médicaments m’appartiennent, comme les murs, comme les médecins, comme tout à Saint-

Peters ! Il crache les derniers mots à mon visage dans un relent alcoolisé. Je recule un peu, gênée par ses postillons, mais surtout par ses yeux étincelants de rage. Je jurerais qu’il n’a qu’une envie : entourer mon cou avec ses mains et m’étrangler. Cette image s’impose à moi comme si je déchiffrais ses pensées. Machinalement, je porte mes doigts à ma gorge. – Vous n’avez rien compris. J’ai pris ces médicaments pour les patients. – Je ne vous ai accusé de rien, docteur Thompson. – Alors effacez cette photo. Je ne réagis pas, mal à l’aise. Ainsi, il m’avait bien vue en train de photographier le mur, afin de mémoriser le numéro des cours antistress. Ça m’apprendra à ne jamais avoir ni papier ni crayon sur moi ! Respire, Hope, respire. – J’aimerais que vous vous en alliez, monsieur Thompson ! dis-je, aussi fermement que possible. Pas sûr que j’aie l’air super impressionnant. – Non. Qu’est-ce que je disais… – Pas tant que vous n’aurez pas effacé cette photo… cette photo… devant moi ! se reprend-il avec un raclement de gorge. – Partez, s’il vous plaît. – NON ! Son cri explose sur le palier, à mon visage. – Vous allez effacer cette photo tout de suite ! – Monsieur… – Qu’est-ce que vous voulez, à la fin ? Du fric ? éclate-t-il, écarlate. Vous voulez me faire chanter ? Vous voulez me plumer ? – Non, bien sûr que non ! Paniquée, je tente de claquer la porte, mais à la dernière seconde, Thompson avance son pied dans l’interstice et la bloque. Il repousse alors le battant d’un violent coup de genou et me saisit par le bras. Il est fort, incroyablement fort malgré sa soixantaine d’années et son état second. Ses doigts se referment sur mon poignet comme une pince. Je pousse un gémissement, affolée. Et soudain… tout se brouille autour de moi. Dès l’instant où nous entrons en contact, je perds pied, je me déconnecte de la réalité.

Un flash. Un autre flash. Sous mes yeux, d’autres images se dessinent : je regarde un petit film en noir et blanc dont la bande tressauterait. Le souffle court, je découvre le professeur Thompson en train de donner une mallette remplie d’argent à un homme de taille haute à la mine patibulaire. Jamais je n’ai vu son visage, au nez busqué, aux sourcils fournis. Pourtant, je sais qui il est. Peut-être à cause du revolver qu’il montre à Charles Thompson après avoir reçu son paiement ? Il écarte un pan de sa veste en cuir pour dévoiler son holster. – Je m’occuperai de Wagner la semaine prochaine. – Je ne veux rien savoir. – Vous n’entendrez plus jamais parler de lui. – J’ai dit que je ne voulais rien savoir. Maintenant, foutez le camp ! Foutez le camp ! Alors, tout s’arrête. Le son se coupe, la vision se dilue comme si on avait éteint le projecteur. Dans un sursaut, je bats des paupières, revenue à la réalité. J’ouvre la bouche pour aspirer l’air, désespérément. J’ai l’impression d’avoir nagé en apnée pendant des heures. Et je me retrouve face au docteur Thompson, en chair et en os. – C’est vous ! fais-je, dans un souffle. C’est lui qui a payé un homme pour assassiner David. C’est lui ! Ce n’était pas Rachel Banks, la grande blonde agressive, ni personne d’autre en lien avec le laboratoire pharmaceutique ruiné ! Je l’ai vu dans ma vision, même si j’ignore pourquoi j’ai, tout à coup, des visions du passé, et non de l’avenir. – C’est vous ! je répète. Sous l’effet de l’adrénaline, je m’arrache à son emprise et claque la porte devant lui. Puis je ferme à clé et m’écroule contre le battant, terrifiée.

4. À la rescousse

Je reste immobile dans l’entrée, presque prostrée en attendant David. Normalement, il ne devrait plus tarder. Au téléphone, il m’a dit qu’il venait tout de suite, de n’ouvrir la porte à personne et de ne surtout pas bouger. Sur ce point, je l’ai pris au mot : je ressemble à une statue, adossée au mur du couloir. Le ventre noué, je songe à ma vision et à mon « pouvoir ». Ainsi, il n’était pas éphémère. Il est revenu, comme une maladie dont on n’arrive pas à guérir. Il ne s’agissait pas seulement d’un hasard ou de rêves destinés à sauver David. J’en ai des sueurs froides. Malgré la peur, je me force à regarder à travers le judas, m’attendant presque à voir Charles Thompson ressurgir. Après avoir tambouriné cinq minutes, il est enfin parti. C’est long, cinq minutes, quand un type éméché tente de défoncer votre porte ! Très, très long. J’essaie de respirer calmement, de ne pas céder à la panique. Peut-être devrais-je appeler la police ? Je jette un regard anxieux vers le fixe, posé sur un petit meuble rouge à l’entrée du salon, avant de renoncer. Que leur dirais-je ? Que j’ai eu une vision ? Qu’un célèbre et respecté neurochirurgien est venu sonner chez moi pour m’agresser ? Ils vont me prendre pour une dingue ! Et Claire ? Si j’appelais Claire ? Non, non, je ne vais pas la déranger. Inutile de rameuter tout le quartier. Je vais attendre David. De toute manière, c’est lui que je veux. C’est lui qu’il me faut. Lui et personne d’autre. Quand soudain, un coup de sonnette retentit, me faisant presque bondir au plafond. Je n’aurais pas eu davantage peur d’un coup de feu. Je me précipite néanmoins sur l’œilleton. – Hope ? entends-je à travers la porte. La sonnette résonne à nouveau, déterminée. C’est lui. C’est David, venu à ma rescousse… Durant mon agression, au milieu des cris, seul son numéro m’est revenu en mémoire. Et pendant que la porte tremblait sur ses gonds, sous les coups de Charles Thompson, je l’ai appelé à l’aide alors qu’il était en plein dîner mondain. J’entendais la rumeur des voix derrière lui. Mais il s’est tout de suite précipité, traversant la moitié de la ville pour foncer chez moi. – Si tu savais comme je suis contente ! fais-je en ouvrant la porte. Les larmes aux yeux, je me jette dans ses bras, tel un boulet de canon. David me reçoit de plein fouet. Me cramponnant à son cou, j’enfouis ma tête dans sa chemise noire et inspire son parfum ambré à pleins poumons, comme si j’ingurgitais une dose de courage. Ses mains caressent mon dos. Et durant une longue minute, nous restons silencieux, blottis l’un contre l’autre. – Mais tu trembles ! note-t-il.

De ses deux doigts, il relève mon menton pour me forcer à croiser son regard translucide. Je lis l’inquiétude sur ses traits tandis qu’il m’examine attentivement. Rien ne peut échapper à ses yeux. – Ce n’est rien. Je suis juste un peu secouée. – Charles ne t’a pas fait de mal, au moins ? demande-t-il, la ligne de la mâchoire si dure que je reconnais à peine son visage. Il semble soudain si froid, si fermé, comme s’il s’apprêtait à mordre ou à bondir. Pour me protéger. Malgré la situation, mon cœur tressaute – et j’entends un signal dans un coin de ma tête. Je suis amoureuse de cet homme, je m’en rends parfaitement compte. N’est-il pas la première personne que j’ai prévenue ? N’est-il pas le seul que je voulais voir ici ? – Plus de peur que de mal, dis-je enfin, en essayant de ne pas trop penser à ma vision. Je vais mieux, maintenant. Et j’ajoute, à mon corps défendant : – Surtout depuis que tu es là. David me sourit. Sans lui laisser le temps de répondre, parce que je ne suis pas sûre de ses sentiments à mon égard, je l’entraîne à l’intérieur. Je l’attrape par la manche et le tire dans l’entrée avant de m’abattre sur la porte. À toute vitesse, je tire alors le verrou, pousse la chaîne et tourne la clé dans la serrure. C’est bon. Le pont-levis est fermé. – Tu ne crains plus rien, Hope, murmure David. Je suis avec toi. Il attrape le châle en crochet abandonné sur la console de l’entrée et le pose sur mes épaules. Non sans l’avoir examiné auparavant avec amusement. Il a d’ailleurs un petit sourire en coin lorsqu’il m’en enveloppe. – Quoi ? – Rien… – Dis-le. – Non, rien. C’est juste que… – … je ressemble à un épouvantail ? Les yeux de David pétillent, comme s’il souriait avec son seul regard. – Tu ne ressembles qu’à toi. Touchée. Presque coulée. Et une seconde plus tard, il me conduit au salon où je m’assois sur le canapé. Lui s’agenouille

devant moi, calme et méthodique. Monsieur Rationalité va me passer au crible de ses questions. – À quelle heure est passé Charles ? – Vers 22 heures, environ. – Que s’est-il passé exactement ? Te rappelles-tu ses mots exacts ? Il me sonde avec sérieux. Je le soupçonne parfois d’être un robot. Un robot très sexy, mais un robot quand même. – Il est venu pour me demander de supprimer une photo de mon téléphone. Joignant le geste à la parole, je m’empare de mon portable pour le tendre à David afin qu’il détaille le cliché. On y distingue le docteur Thompson en train de fourrer des boîtes de médicaments dans sa sacoche. – Je prenais en photo le mur, pour retenir un numéro de téléphone… – Des cours antistress ? s’amuse David, ironique. – J’ai besoin d’apprendre à gérer le flux intense de mes émotions ! Je n’y peux rien si ça bouillonne à l’intérieur ! Et puis ce n’est pas le sujet… David ne m’écoute pas protester, trop absorbé par son examen au rayon X. – Il t’a demandé de l’effacer ? – Il m’a carrément menacée pour que je le fasse, dis-je en montrant mon poignet encore rougi par la trace de ses doigts. Il m’a aussi demandé si je voulais de l’argent… Mon docteur préféré s’assure que ma blessure n’est pas trop grave. Sa caresse sur mon bras me donne de grands frissons même si j’essaie de refouler mon trouble. Rassuré sur mon état, il acquiesce d’un signe de tête avant de passer une main sur son visage, comme s’il pouvait en retirer la fatigue ou la lassitude. – C’est bien ce que je pensais. Le docteur Thompson vole dans la pharmacie de la clinique. – Il… il avait peut-être besoin de ces boîtes pour un patient… Je ne peux m’empêcher de le défendre. Même si je ne l’aime pas. Mon côté justicière de l’ombre, sans doute. – Il y a une procédure à suivre, Hope, des règles très strictes pour éviter ce genre de pillage, justement. Nous sommes médecins, mais nous n’avons pas le droit de nous servir dans les stocks. Il ne s’agit pas d’un libre-service ! s’enflamme David. Il repose mon portable, écran contre la table basse pour ne plus voir l’image. La regarder lui est sans doute difficile. – Depuis plusieurs semaines, j’ai remarqué que les réserves de codéine, de Vicodin et de

méthadone baissaient anormalement… Je me doutais bien qu’un médecin se cachait derrière ces vols. La pharmacie est accessible grâce à un code et une clé que seul le personnel médical détient. – Et tu soupçonnais ton mentor ? – Plus ou moins. Cela a au moins le mérite d’expliquer ses changements d’humeur… tantôt agressif, tantôt apathique. L’alcool ne pouvait être le seul responsable de son état. Je me tais, mal à l’aise. J’ignore comment aborder le sujet qui me préoccupe. J’aimerais lui raconter ma vision, mais je redoute la réaction de monsieur Rationalité. Va-t-il me croire ? Me prendre pour une irrécupérable folle ? Je me racle la gorge. – J’ai eu une nouvelle vision, David. Quand le docteur Thompson m’a touchée, cela a déclenché une sorte de flash… Il ne dit rien alors que je lui raconte la scène : son ancien ami et père de substitution… en train de payer un homme de main pour le supprimer. – Je sais que ça a l’air dingue… – Sans blague ! – Mais je les ai vus, comme je te vois ! dis-je en touchant son bras. C’était si réel, si vivant. J’avais l’impression d’être avec eux dans ce bureau. Je t’en prie, fais-moi confiance. Je sais que le docteur Thompson se cache derrière ta tentative d’assassinat, aussi sûrement que je m’appelle Hope Robinson. David me contemple avec intensité avant d’inspirer un grand coup. Nous nageons en plein paranormal, au cœur d’événements inexplicables, mais il essaie de garder son calme, de s’accrocher à sa raison fissurée, attaquée, fendillée. Face à moi, j’ai l’impression qu’il s’apprête à sauter du haut du Grand Canyon… quand les mots tombent de sa bouche : – Je te crois. – Pardon ? Les yeux manquent de me sortir de la tête. Je m’attendais à tout, sauf à ça. – Tu me crois ? Comme ça ? Sans preuves ? – Oui. – Même si je me base sur une vision du passé ? Même si ce que j’affirme semble fou ? Pour un peu, j’essaierais presque de le convaincre que j’ai tort. Appelez ça l’esprit de contradiction. Mais David campe sur ses positions, faisant un effort considérable pour entrer dans mon monde, faire un pas dans ma direction. – Je ne crois ni aux visions ni aux voyantes… mais je te crois, toi. Et si tu me dis que Charles Thompson a fomenté mon meurtre, ce qui, soit dit en passant, ne m’étonnerait qu’à demi, je m’incline. – Oh, David…

Je ne serais pas plus émue s’il venait de me faire une déclaration d’amour. D’une certaine manière, n’est-ce pas un peu le cas ? Cet homme si hermétique à l’irrationnel accepte de prendre en compte mon avertissement. Je me pends à son cou alors qu’il m’ouvre ses bras, m’étreignant contre son torse. Et à l’abri dans ce cocon, je ne peux m’empêcher d’ajouter, aux prises avec un mauvais pressentiment : – Je t’en prie, fais attention à la clinique, maintenant. On ne sait pas ce qui peut t’arriver… *** Cette nuit-là, David refuse de me laisser seule et gagne ma chambre. En sortant de la salle de bains, je le surprends en train de ranger mes affaires. En deux minutes, il a réussi à former deux piles de vêtements. Cette pièce est sans doute une torture pour un maniaque de l’ordre ! Et il n’est pas au bout de ses peines avec moi, mais je veux lui apprendre à lâcher prise. N’est-ce pas ma mission ? De son côté, il essaie de me mettre du plomb dans la tête. Un point partout. Avant de dormir, je profite d’un moment d’intimité pour tenter de lui parler de son père. Attention : terrain miné ! J’ai été très marquée par ses récentes confidences. En particulier d’apprendre que Samuel Wagner est en prison. Mais à peine ai-je formulé une question que David se braque. À l’évidence, il n’est pas prêt à évoquer son passé. Et le lendemain matin, nous parlons de tout et de rien à la table du petitdéjeuner. Ni son géniteur, ni Charles Thompson, ni mes visions ne sont au menu du jour. – Je n’aurais jamais dû boire autant pendant le dîner ! balance une voix dans le couloir. David relève la tête, quittant des yeux ses toasts. Et moi, je me fige, ma tasse à la main. – Je me sens barbouillée… Claire bâille à s’en décrocher la mâchoire en franchissant le seuil de la cuisine. Quand soudain, son regard croise celui de David. Je dois me retenir pour ne pas rire – je sais, c’est méchant. Avec un cri aigu, ma meilleure amie rabat aussitôt les pans de son peignoir en satin autour d’elle. Mon compagnon, lui, détourne la tête. En parfait gentleman, il ne veut guère accroître son malaise. – Docteur Wagner ?! glapit Claire. Ma coloc est rouge, rouge comme une tomate, rouge jusqu’à la racine des cheveux. Sa figure prend feu en deux secondes. – Mais… mais… Elle panique. Tomber nez à nez avec son boss dans la cuisine au saut du lit ressemble à un cauchemar, je l’admets. Pas très solidaire, je me mets à pouffer… et ma coloc me foudroie d’un regard noir. Si elle pouvait tirer avec ses yeux, je serais criblée de balles. Je tente de m’expliquer

avant de finir devant le peloton d’exécution. – David a passé la nuit ici. – Nous aurions dû vous avertir, s’excuse-t-il. Je suis désolé si ma présence vous dérange. Je peux très bien… – Non ! s’écrie-t-elle. Pas du tout. Tout en se déplaçant en crabe dans ma direction, elle tente de remettre en ordre son carré châtain. Elle n’a pas à avoir honte de sa mise. Elle est nettement plus présentable que moi, après ma nuit de semi-insomnie passée à ressasser les derniers événements. – Tu aurais pu me le dire…, me lance-t-elle tout bas. – Désolée, mais tu es rentrée très tard. Je dormais déjà. – C’est mon patron… – Vous avez conscience que je me trouve à un mètre et que je vous entends ? nous interrompt David, amusé. Mon amie me décoche un ultime regard meurtrier, signifiant clairement que je vais lui payer cette vacherie. Je sens que la corvée de vaisselle se profile à l’horizon. À perpétuité. Un peu embarrassée, Claire s’assoit à notre table. – Excusez-moi, docteur Wagner… – Vous pouvez m’appeler David, ici. Ce sera moins formel. Il lui sourit, engageant. Et j’en profite pour me lever, décidée à apaiser les esprits. – Et si je te servais un petit café ? – C’est toi qui l’as préparé ? me demande Claire, suspicieuse. Je secoue vigoureusement la tête. – Non, c’est David. Il est super bon, tu vas adorer ! Je me dirige vers l’évier, de bonne humeur malgré les événements de la veille. Le seul fait de m’être réveillée aux côtés de l’homme que j’aime suffit à mon bonheur. Pour le moment, je refuse de songer à mes ennuis – au docteur Thompson, à mes visions, à ma grand-mère… au moins, c’est varié, je ne manque pas de sujets de stress ! La cafetière à la main, je rejoins la table avec un pas de danse… lorsqu’une barre blanche tombe devant mes yeux. – Merde ! La cafetière m’échappe des mains, se brisant sur le carrelage en répandant un flot noir sur mes chaussons. C’est chaud, mais je ne songe même pas à crier. À la place, je me raccroche à la table avant de tomber, complètement aveugle. Je ne distingue plus rien. Sinon un grand voile diaphane qui me bouche la vue.

– Hope ! David. Près de moi. Les pieds de sa chaise raclent le sol et je sens sa main sur mon épaule, dans mon dos. En écho, Claire m’appelle d’une voix angoissée. Je ne vois rien, rien du tout. Le sang pulse douloureusement à mes tempes. – C’est encore un éblouissement…, dis-je, aussi calme que possible. – Tu ne vois plus rien ? s’affole ma coloc. – Si, ça revient un peu… Même si le processus est lent, je discerne à nouveau des formes, des couleurs. Mais l’ensemble reste flou, à commencer par le visage tendu de David, penché au-dessus de moi. Au contraire de mon amie, il ne cède pas à la panique et garde son sang-froid. Il m’aide à m’asseoir sur une chaise pendant que Claire commence à éponger mes dégâts. – Désolée pour le café… – Ça suffit, Hope ! me coupe David. Viens me voir en consultation cette semaine. – Pour cette broutille ? Je ne veux pas te faire perdre ton temps. – Ces éblouissements sont très fréquents. Tu ne dois pas prendre ta santé à la légère, me rétorquet-il sèchement. Il est en colère, je le vois bien. Mais ne lui avais-je pas déjà promis de me rendre chez mon médecin deux semaines plus tôt ? – Je suis très attentive à mon hygiène de vie. Je ne bois pas, je ne fume pas, je pratique le yoga. Et je me soigne ! je précise, pour détendre l’atmosphère, en secouant mon pot de compléments alimentaires, exposé sur l’évier. David fronce les sourcils, peut-être parce qu’il perçoit ma peur derrière ces paroles légères. La vérité ? Je commence à être morte de trouille. Cela arrive trop souvent. Par moments, je redoute le pire, même si je minimise par tous les moyens. Mon compagnon me prend mon pot des mains et, après avoir lu l’étiquette, il lève les yeux au ciel, l’air accablé. – Tu es complètement inconsciente. Ce n’est pas en broutant des fleurs que tu iras mieux, Hope ! Je ne plaisante pas, ajoute-t-il comme je souris. Dédaignant mon gros flacon en plastique, il pose ses deux mains sur mes genoux. Lorsqu’il se penche vers moi, je ne vois plus que ses superbes prunelles glacées – jamais je n’ai été aussi contente d’avoir retrouvé la vue. – J’ai fait un pas vers toi, Hope. À ton tour de m’accorder ta confiance. L’allusion est limpide. Il a raison. Il accepte mes visions, il prend en compte mes avis, mes prémonitions… Alors, ne dois-je pas lui rendre la pareille, esquisser un pas dans sa direction, vers son univers scientifique ?

– D’accord. Je viendrai en consultation. – Sage décision. Je t’attendrai à mon cabinet demain après-midi, vers 17 heures. Je te prendrai entre deux rendez-vous… *** Une migraine atroce ne me quitte pas de la journée. Plus inquiétant, les bords de ma vision demeurent flous : si le centre est impeccable, les côtés se diluent dans une ombre un peu laiteuse. J’ai l’impression que ces douleurs sont liées à mes visions : après chaque flash, je souffre d’un horrible mal de tête. Et si mon don me détraquait ? Je ne peux plus nier son existence, mais j’ignore comment le contrôler et canaliser ces images qui me prennent en otage. Peut-être devrais-je demander conseil à Sofia ? Mille questions me harcèlent, mais je m’évertue à rester concentrée en servant les clients de Flower Power. – Que diriez-vous d’une brassée d’œillets ? Je me tourne vers une vieille dame qui me regarde avec gêne. Je tiens une vingtaine de fleurs entre mes mains, prête à les arranger. – Si ce n’est pas trop cher… Elle détourne très vite les yeux pour éviter mon regard. À sa mise dépouillée, je devine qu’elle ne roule pas sur l’or. L’usure de ses souliers comme les coudes râpés de sa veste en tweed laissent peu de place au doute. Je lui adresse un grand sourire malgré mon crâne sous pression. – Je peux vous faire une composition canon pour cinq dollars. – Ce serait parfait, soupire ma cliente, soulagée. – Alors laissez faire la pro ! Tout à l’heure, je glisserai la différence de prix dans la caisse, même si je ne dispose pas moimême de milliers de dollars à la banque. Ma paie est correcte et elle me suffit largement. Je n’ai pas besoin de grand-chose. En quelques tours de main, je parviens à donner une apparence champêtre à mon bouquet, paré de quelques feuilles décoratives. La vieille dame semble aux anges. – Magnifique ! Tendant la main pour caresser les pétales, elle frôle mon bras. Et au moment où nos peaux entrent en contact, ma vue se brouille. La boutique de fleurs disparaît, laissant place à… un grenier. C’est une nouvelle vision ! Je discerne clairement des combles troués par une unique fenêtre ronde, comme un œil-de-bœuf. Je suis totalement coupée du monde, projetée dans cette salle que je ne connais pas, près d’un piano droit poussiéreux, à demi dissimulé sous une couverture. – Mademoiselle ? Tout va bien ? Je reste les yeux dans le vague. Un vieillard inconnu entre dans mon champ de vision pour

soulever une latte du plancher… et y enfouir un coffret en bois. Quand il soulève le couvercle, j’aperçois de petits lingots d’or. Il les cache sous le parquet, avant de tirer un tapis d’un rouge usé par-dessus. – Une personne de votre famille a-t-elle acheté de l’or ? j’interroge d’une voix lointaine. – Eh bien, oui… Mon mari avait des lingots. – Ils sont cachés, n’est-ce pas ? Je continue à voir le grenier et presse la main de ma cliente. C’est comme si j’étais à la fois là-bas et dans la boutique. – Euh oui… Mais comment le savez-vous ? Stephen les a dissimulés, mais il est mort voici trois ans avant de pouvoir m’indiquer sa cachette. – Ils sont dans le grenier, dans un coffret. – C’est impossible… J’ai tout fouillé après son décès. – Sous votre tapis rouge, à côté du piano, il y a une latte mobile. Soulevez-la et vous trouverez l’or ! Mon flash s’arrête, me laissant exsangue. Mes pouvoirs seraient-ils en train de grandir, de se développer ? Pour la seconde fois, j’ai eu une vision du passé. Apparemment, je peux désormais me promener sur le fil du temps. Un peu sonnée, je croise les yeux écarquillés de ma cliente. Elle semble stupéfaite sous la laine usée de son chapeau cloche. – Comment pouvez-vous savoir tout ça ? – Je… j’ai eu une intuition. Je lui souris en priant pour être vaguement convaincante malgré ma pirouette. – Vous êtes une sorte de voyante ? – Oh non, non ! Je démens avec véhémence et lui tends son bouquet. Mon acheteuse me serre la main, non sans me couler un regard hésitant, peut-être incrédule. Elle me trouve bizarre, je pense… D’ailleurs, elle quitte rapidement la boutique, sans se retourner. Au moins ses ennuis d’argent sont terminés. De mon côté, je me sens mieux, comme si j’étais devenue plus légère. Ne viens-je pas de réaliser une bonne action grâce à mes pouvoirs ? Mon don ne se manifeste plus seulement pour prévenir un danger ou dévoiler la nature malfaisante de certains êtres. Je peux aussi rendre service, changer les choses. Je viens d’inventer le bénévolat extralucide. Je souris malgré la barre sous mon crâne. Mes visions sont nombreuses et plus rapprochées, je devrais peut-être en avoir peur, mais j’ai surtout l’impression que la malédiction familiale s’éloigne de moi, refluant telle la marée. Je ne suis pas obligée de ressembler à ma grand-mère et d’escroquer les gens, même si j’ai hérité de son talent occulte. Je peux être moi-même, tout simplement.

5. In the dark

Je suis en retard, en retard, en retard. Avant de tomber dans un terrier de lapin, je pousse d’une main la porte en verre du restaurant où j’ai rendez-vous avec ma mère. Bien entendu, elle se trouve déjà à notre table, près d’une fenêtre ouverte sur une avenue de Financial District. Johanna Robinson n’est-elle pas la ponctualité incarnée ? Pour ma part, je suis souvent, très souvent – mea culpa – en retard. – Bonjour, maman… Je m’approche pour déposer une rapide bise sur sa joue. La dernière fois, nous ne nous sommes pas quittées en très bons termes à cause de mes incessantes questions sur Christina. Or, j’ai peur que ce nouveau tête-à-tête ne vire aussi à l’eau de boudin. Car je compte à nouveau l’interroger. À mes risques et périls. – J’avais peur que tu ne viennes plus, déclare ma mère. – Tu es encore fâchée ? – Non, voyons. – Arrête, maman. Je le vois à ta petite ride du puma. Elle esquisse enfin un vrai sourire. Et tandis que je prends place en face d’elle et m’empare du menu en carton plastifié, elle touche le fin trait d’usure entre ses sourcils. – Ça s’appelle la ride du lion, ma chérie. – Tu es sûre ? je m’étonne. Parce que ça me fait plutôt penser à un puma, moi. Ma mère m’enveloppe d’un long regard, détaillant ma robe indienne au col en V et aux manches courtes. Ses rayures blanches, rouges et bleues rehaussent ma crinière cuivrée, où j’ai fiché de jolies plumes noires. Le sourire de ma mère s’élargit. – Pourquoi est-il impossible de rester fâchée avec toi plus de cinq minutes ? – Parce que je suis irrésistible, ma petite maman d’amour. – Tu n’essaierais pas de m’amadouer, par hasard ? – Si, complètement. Ça marche ? Elle se met à rire – ce qui est plutôt bon signe – tandis que je papillonne des cils d’un air innocent. Notre relation est assez chaotique, en ce moment. D’ordinaire, nous sommes très complices. Mais avec mon envie de fouiller le passé, j’ai l’impression de mettre en péril notre lien. Pile à ce moment, le serveur nous offre une heureuse diversion. Je commande un carpaccio de légumes ainsi que des gaufres à la farine de châtaigne. Ma mère me coule un regard désapprobateur. Mais si elle meurt d’envie de me traiter d’herbivore, elle se retient. Sans doute a-t-elle la sensation de marcher sur des

œufs, elle aussi. De mon côté, je préfère attendre la fin du repas avant d’ouvrir les hostilités. Je ne me lance qu’avec l’arrivée des desserts : – Je me suis un peu renseignée sur les escroqueries de Christina… Voilà. C’est dit. Ma mère ne répond pas, piochant dans sa coupe de glace. Je me demande même si elle m’a entendue. Mais j’ai besoin de partager mes découvertes au sujet de ma grand-mère. Cette histoire me perturbe. Comment une femme, d’abord décrite comme généreuse et altruiste, a-t-elle pu finir par escroquer, ruiner et pousser au suicide un homme tel qu’Alexander Lloyd ? Je m’en ouvre à maman, de plus en plus concentrée sur son dessert. – C’est bizarre, tu ne trouves pas ? J’ai l’impression que la fin de sa vie ne cadre pas avec le reste. Qu’est-ce que tu en penses ? Silence. Ma mère déguste tranquillement son sorbet. Puis elle repose sa cuillère sur la nappe. Ça ne sent pas bon… du tout. – Que t’arrive-t-il, Hope ? – Moi ? Rien… Je n’ai pas encore évoqué mes visions devant ma mère. Elle ne comprendrait pas. Elle n’y croirait même pas. Ou alors, elle se fâcherait avec moi. Je redoute trop qu’elle ne me compare à Christina, qu’elle ne me confonde avec elle si je lui avoue notre inexplicable point commun. Cette ressemblance m’effraie aussi, pour être honnête. C’est la raison pour laquelle je fouille autant le passé. – Christina ! Christina ! s’exclame ma mère, agressive. Tu n’as plus que ce nom à la bouche ! – Pourquoi rentres-tu dans une telle colère dès qu’on en parle ? – Oh, mais je ne suis pas en colère ! Je me sens juste… trahie. Je ne trouve rien à répliquer, choquée. Moi ? Trahir ma mère ? – Je ne te reconnais pas. Tu sais combien cette femme m’a fait souffrir et m’a gâché la vie. Et toi, tu t’amuses à remuer le couteau dans la plaie. – Pas du tout ! Je ne cherche pas à te blesser… – Raté ! – Mais j’ai besoin de connaître mon passé. Ma famille se résume à toi, maman. J’ai 20 ans et je ne sais rien, strictement rien, de mes ancêtres. Grand-mère ? Tu pètes un plomb dès que je prononce son nom. Papa ? À la moindre allusion, tu refuses carrément de prendre mes appels pendant quinze jours. Ma mère se raidit et le serveur, qui s’apprêtait à débarrasser notre table, fait prudemment demitour. Une atmosphère électrique règne dans notre coin du restaurant, comme si des nuages noirs

s’amoncelaient au-dessus de nos têtes. – Qu’est-ce que Clive vient faire là-dedans ? – C’est mon père, maman ! Or, je ne sais pratiquement rien de lui en dehors de son prénom. Tu ne trouves pas légitime que je m’interroge ? – Non ! Je trouve ça cruel pour moi ! Elle me fusille du regard. – Je t’ai élevée seule, Hope. Sans l’aide de personne, et surtout pas de ce type. – Je n’ai jamais dit le contraire. Et je ne prétends pas non plus aimer cet homme. Je souhaiterais juste avoir des racines, comme tout le monde. Savoir d’où je viens… Faute de savoir où je vais. – C’est n’importe quoi ! tranche ma mère, butée. Elle se referme. Dans ces cas-là, difficile de lui soutirer le moindre renseignement. Je me sens affreusement mal alors que notre entrevue tourne au désastre, à la catastrophe, à la désastrophe ! – Maman, s’il te plaît… – Je ne te reconnais plus. – Pourquoi ne veux-tu rien me dire sur mon père ? J’aimerais juste savoir ce qu’il est devenu, où il vit aujourd’hui… Comme lors de notre précédent déjeuner, ma mère se lève en raclant les pieds de sa chaise, rejouant la scène avec une colère accrue. Ramassant son sac, elle s’empare ensuite de son mince imperméable. – Ce salaud nous a abandonnées toutes les deux. Pas seulement moi, sa compagne, mais aussi toi, sa fille. Tu as vraiment envie de connaître un type pareil ? – Je veux comprendre pourquoi il est parti. Johanna secoue la tête : – Crois-moi, Hope, tu n’as pas envie de connaître cette vérité-là. *** Ma grand-mère, mon père… tout se télescope dans mon esprit. Et en début d’après-midi, je me retrouve devant la boutique de Sofia Morales. Malgré une énième migraine, je guette le retour de la voyante devant la porte close. J’ai d’abord appelé à Sofia, pour la prévenir de ma venue. Je veux obtenir des informations et Sofia m’a dit être dotée d’immenses pouvoirs. Alors pourquoi ne pas les exploiter ? Si elle voit dans le futur, si elle est capable d’entrer en contact avec l’esprit des morts, elle ne risque pas d’être effrayée par une petite localisation de rien du tout.

– Hope ! Descendant la rue après un déjeuner à l’extérieur, Sofia s’approche de moi, tout sourire. Elle est aussi splendide que dans mon souvenir, avec sa crinière sombre et ses yeux de biche. Aujourd’hui, elle porte une longue robe tunique en soie bleu azur qui doit coûter une petite fortune. – Je suis si contente de vous voir, m’assure-t-elle en m’embrassant sur la joue. – Merci de me recevoir entre deux rendez-vous. – Je vous en prie ! Vous êtes la petite-fille de Christina. Vous faites un peu partie de la famille. Déverrouillant les deux serrures, elle ouvre la porte et s’efface devant moi. À l’intérieur flotte un parfum de benjoin, apaisant. Je remarque aussi la présence de nouveaux objets : une collection de cartes postales consacrées aux anges gardiens et des pendules de différentes tailles, exposées sur le comptoir. Une vraie caverne d’Ali Baba. – Je ne savais pas vers qui me tourner, j’avoue, nerveuse. – Alors comme ça, vous voulez retrouver votre père ? Sa voix est chaude, posée. Je hoche la tête malgré ma gêne, empêtrée dans des sentiments contradictoires. J’ai l’impression d’agir dans le dos de ma mère. Et je déteste ça. Mais n’ai-je pas le droit de connaître l’homme qui m’a donné la vie ? J’ai déjà résumé la situation à Sofia au téléphone. – Oui, mais je n’ai aucun indice. Je ne sais strictement rien de lui, hormis le fait qu’il s’appelle Clive Harper. Elle acquiesce en retirant le foulard vaporeux autour de son cou, l’accrochant à l’une des patères clouées au recto de la porte latérale. Moi, je me tiens devant le comptoir où s’éparpillent une foule de prospectus vantant les mérites d’un naturopathe ou les effets miraculeux de l’hypnothérapie. – Vous avez ce que je vous ai demandé ? m’interroge-t-elle. – J’espère que ça suffira… Je plonge une main dans mon sac et parviens à extraire de mon fourbi une vieille montre au cadran fendillé. Avec son bracelet en cuir bon marché, elle n’a pas fière allure, mais je la tends comme une relique à Sofia. – Cette montre lui a appartenu ? – Oui, elle était à mon père. C’est la seule chose que j’aie gardée de lui. Maman a jeté tout le reste de ses affaires après son départ. Dire qu’elle a fait un grand feu de joie (ou de chagrin) serait plus exact, mais je préfère taire certains détails. Je la revois encore vider l’armoire de Clive et balancer ses chemises dans un grand sac-poubelle avant de les expédier dans la benne à l’arrière de notre immeuble. – C’est parfait, m’assure Sofia.

– Vous pensez vraiment pouvoir le localiser grâce à cet objet ? – Absolument… et ce ne serait pas une première pour moi. On me demande souvent de retrouver un proche disparu. Si votre père est encore vivant, je retrouverai sa trace. – Vous avez un don exceptionnel. – Mais vous pourriez y arriver, vous aussi. Il suffirait de vous entraîner un peu… Je reste interdite, saisie par sa remarque. Moi ? M’entraîner à jouer les médiums ? À cet instant, le visage de Christina s’impose à moi, comme un garde-fou. Je n’ai pas envie de finir comme elle, de m’engager dans cette voie dangereuse. – Je ne sais pas comment vous remercier, Sofia. – Mais non, ça me fait plaisir… Je l’embrasse sur la joue après avoir jeté un coup d’œil à ma montre. Si cela continue, je vais être en retard pour l’ouverture de Flower Power. Ma pause déjeuner est presque finie. Mais au moment où je tourne les talons, Sofia se racle bruyamment la gorge. – Vous n’oubliez rien, Hope ? Je pivote et la regarde sans comprendre. – Je suis désolée de vous demander ça, mais cette recherche va me prendre pas mal de temps et exiger une quantité d’énergie astronomique… – Oh… – Alors j’aimerais autant que vous régliez tout de suite le prix de cette mission. – Bien sûr, oui ! Je ne sais pas où j’avais la tête ! Rebroussant chemin, je sors ma carte bleue de mon sac à main et Sofia brandit aussitôt un terminal, comme dans n’importe quel magasin. – Ça vous coûtera deux mille dollars, m’annonce la voyante d’un ton détaché. Je vous fais un prix d’ami. Pardon ?! – Deux mille dollars ? je répète, à court de salive. Et de souffle. Et de battements de cœur. – Si vous trouvez ça trop cher… – Non, je n’ai pas dit ça… Un défibrillateur, s’il vous plaît. J’enfonce ma carte dans la fente. Je vais dilapider toutes mes économies avec cette histoire. Pas

une seconde je n’avais envisagé qu’elle me demanderait de l’argent – et encore moins une telle somme ! Je croyais qu’elle allait m’aider, pas vider mon compte… L’espace d’un instant, je ne peux m’empêcher de songer aux escroqueries de ma grand-mère, à la fin de sa vie. Ce qui me met très mal à l’aise. J’ai l’impression que Sofia exploite ma détresse, mais je refoule cette pensée. De toute manière, je veux retrouver mon père. J’en ai besoin. Après tout, à quoi m’attendais-je ? Sofia est l’une des voyantes les plus demandées et cotées de la ville, et ses tarifs s’accordent à sa réputation. Ce sera aussi un moyen de confirmer l’étendue de ses pouvoirs. N’empêche, j’ai des sueurs froides. – Je vais retrouver votre père, Hope, me rappelle Sofia. Cela en vaut la peine, croyez-moi. Je l’espère. *** En fin d’après-midi, j’honore aussi la promesse faite à David et me retrouve dans son cabinet de consultation. Côté patient, cette fois. – On va jouer au docteur ? je lui lance, malicieuse. Un instant, j’aperçois l’ombre d’un sourire sur ses lèvres, même s’il se reprend aussitôt et me tance avec sévérité. Il porte un pantalon noir et une blouse blanche qui me donne chaud partout. – Cette visite est très sérieuse, Hope ! s’indigne-t-il de sa belle voix grave. Il est question de ta santé. Sous la morsure de ses yeux transparents, je me tasse dans mon siège. Je n’en mène pas large face à l’impressionnant docteur Wagner. Ce qui lui tire un autre sourire, aussi discret que le premier. Et sur un signe de sa part, je m’installe devant un classique panneau de lettres à déchiffrer. Une mission dont je m’acquitte les doigts dans le nez. Mais à ma grande surprise, l’examen continue. Bientôt, David cesse complètement de parler tandis qu’il examine ma rétine à l’aide d’énormes appareils dignes de Matrix. – Tout est en ordre ? – Fixe le point rouge, s’il te plaît, me répond-il. J’ai le menton posé sur une espèce de sangle alors que je regarde dans une paire de jumelles futuriste. À force d’exercices, mes yeux se mettent à pleurer. À mon avis, je souffre d’une sévère conjonctivite. – Comment s’appelle cet engin ? – Un réfractomètre. Petit silence. Ou plutôt, long, long silence. – Tu vois quelque chose ? je lui demande. Sans jeu de mots, bien sûr…

David ne sourit même pas de l’autre côté de l’appareil. Je ne lis pas la moindre expression sur son visage au moment où il quitte son siège. Ses traits sont impassibles, il a remis son masque froid et distant. Je discerne juste un froncement de sourcils lorsqu’il se dirige vers son biomicroscope – pour reprendre son terme. – Ça va, David ? Pas de réponse. Je commencerai presque à avoir peur. Quand il relève enfin la tête vers moi, professionnel mais crispé. – Tu m’attends une minute ? Je reviens tout de suite… Sans autre explication, il quitte son cabinet. J’en profite pour rejoindre son bureau contigu. Et pour tuer le temps, j’examine ses innombrables diplômes accrochés au mur, sans parler des prix médicaux reçus au cours de sa carrière. Au moins suis-je entre de bonnes mains. David est un génie, probablement le meilleur dans son domaine. Passant un doigt sur le cadre, j’y laisse une petite trace. Je m’empare d’un pan de ma robe pour tenter d’essuyer quand la porte s’ouvre derrière moi. – Je n’ai rien fait ! mens-je tout de suite, les mains cachées dans le dos. Mais David ne s’en formalise pas. En fait, il ne prête pas attention à mon manège. – J’ai les résultats. Oh. Je retourne m’asseoir dans un fauteuil, mais lui ne gagne pas son bureau. Il préfère rester à côté de moi, des papiers à la main, l’air grave. Quelque chose ne va pas. Je le sais avant même qu’il n’ouvre la bouche, rien qu’à son regard posé sur moi avec inquiétude. – C’est grave ? Il pose une main sur les miennes, croisées sur mes cuisses, et s’agenouille devant moi pour que nos yeux soient à la même hauteur. – Tu es atteinte d’une dégénérescence rétinienne très rare, surtout pour une patiente aussi jeune. – Une… quoi ? C’est quoi, ce charabia ? David presse mes doigts, m’entourant de sa paume chaude comme s’il voulait me soutenir, m’aider face au choc. À la peur diffuse succède une authentique panique alors que je me raccroche à ses yeux bleu pâle. – Qu’est-ce que j’ai exactement ? – Hope, tu es en train de devenir aveugle.

À suivre, ne manquez pas le prochain épisode.

Rêves et désirs, vol. 4 Hope Robinson est fleuriste dans une boutique à San Francisco. Entourée d’une patronne rock’n’roll, d’une mère poule et d’une meilleure amie au cœur d’or, elle mène une vie qu’elle n’échangerait pour rien au monde. Jusqu’au jour où Hope a des visions. Hantée par un cauchemar qu’elle fait désormais toutes les nuits, elle voit un homme se faire assassiner sous ses yeux, sans qu’elle puisse lui venir en aide ou le prévenir. Accusant la fatigue, Hope n’y prête pas attention. Jusqu’à ce qu’elle croise cet homme dans la rue.

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Désir - Divine insolence La journée avait pourtant bien commencé ! Romane, jeune assistante d’édition, a réussi à obtenir un rendez-vous avec une personnalité incontournable. Mais très vite rien ne va plus : au bout d’une heure d’entretien, elle réalise que « la personnalité incontournable » l’a confondue avec quelqu’un d’autre, et quand elle s’enfuit, morte de honte, elle se retrouve coincée, seule, dans l’ascenseur. Ne lui reste plus qu’à respirer profondément en attendant qu’un héros super-sexy la délivre. Là, elle rêve, les mecs, ça fait longtemps qu’elle a fait une croix dessus… Et pourtant… Tapotez pour voir un extrait gratuit.

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